ALBERT SCHWEITZER ET LA VIE DE JÉSUSLa place de la Geschichte der Leben-Jesu-Forschung dans son œuvre théologique et humaine.


Vingt pages qui éclairent la place prééminente tenue par Jésus dans la pensée théologique et les activités humanitaires d’Albert Schweitzer, de ses premières recherches universitaires à la fin de son existence à Lambaréné. Aussi systématique que passionnée, la quête du Jésus de l’histoire a mené le jeune théologien à un personnage paraissant d’autant plus « étrange » et « étranger » au XXème siècle qu’il avait profondément partagé les croyances eschatologiques de son époque. La fin des temps n’étant pas intervenue comme annoncée, alors même que le messie avait expié sur la croix l’iniquité du monde selon ses convictions, quelle signification peut désormais revêtir le christianisme ? Comment transposer la prédication de Jésus pour en retenir la portée essentielle, spirituelle et éthique, qui apparaît vraie pour l’éternité ? Les développements proposés à ce sujet par les spécialistes de Jésus ne sont finalement, pour Schweitzer, que des mots au regard des réponses qu’apportent les véritables disciples du Christ par leurs actes.

Renvoyant dos à dos le dogmatisme et le libéralisme historico-critique, Schweitzer témoigne, par delà un Jésus historique bien identifié mais finalement insaisissable, d’un Christ qui demeure vivant pour ceux qui s’engagent dans ses pas. Loin d’être l’adhésion à un savoir, à une vision sentimentale ou à un moralisme, la foi s’accomplit dans l’obéissance à l’appel personnellement adressé par le Nazaréen à chacun de ses disciples : « Toi, suis-moi ». Union mystique, « de volonté à volonté », elle s’exprime concrètement à travers un dévouement sans réserve à la cause des hommes, et à travers le respect de toute vie et de toute la création. Jésus a demandé à ses disciples de poursuivre son action, non de comprendre qui il était, et son mystère restera entier en dépit de toutes les tentatives doctrinales visant à l’élucider. La religion n’a pas à expliquer, mais à porter la vie. Comme proclamé il y a deux mille ans, le Royaume annoncé par Jésus est déjà là et cependant toujours à faire advenir moyennant les tâches visant à libérer l’humanité des maux matériels et spirituels qui l’accablent.

Le croyant est à la fois de ce monde où règne la souffrance liée à la finitude et causée par la violence, et différent de ce monde en œuvrant sans relâche pour soulager cette souffrance et faire en sorte que la bienveillance et le salut l’emportent sur la destruction. Un combat qui doit mobiliser l’humanité toute entière, sans acception de frontières religieuses, même si le Royaume de Dieu ne se réduit pas à l’humanitaire. La foi débouche ainsi sur une éthique sécularisée et universelle, déjà en germe dans une terrible et cruciale question posée par le jeune Schweitzer en 1904 dans une de ses lettres à Hélène Besslau, son amie qui deviendra plus tard son épouse : « L’athéisme ne serait-il pas, lui aussi, une religion ? La plus belle et la plus difficile, celle qui vient faire suite à la religion du Christ ? Au moment de mourir n’a-t-il pas dit : ‘Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?’ Il est donc mort en athée ? Qui a le courage de penser cette idée jusqu’au bout ? » Cette question portant sur la nature de la religion reste ouverte, mais que faut-il au juste entendre par là ?

Jean-Marie Kohler

 

recherche-plurielle.net