Nouvelle donne pour le christianisme Compte-rendu de la conférence de Bruno Chenu 2002, Altkirch |
"Dieu n'est pas mort, mais l'Eglise est fatiguée", dit Bruno Chenu à propos de la récession du christianisme en Occident. Par contre, la religion du Christ est d'une étonnante vitalité à la périphérie de l'ancienne chrétienté, tant par sa créativité théologique que par sa progression démographique. L'Afrique est sur le point de l'emporter sur l'Amérique latine par le nombre des chrétiens, et le centre de gravité du christianisme a désormais basculé du Nord au Sud. Le christianisme de demain s'enfante dans le tiers-monde. Le Dieu noir des esclaves américains Les Blancs se sont tellement servis de Dieu pour dominer les autres peuples qu'il a fini par leur ressembler, blanc et dominateur comme eux. Pour justifier le mépris et l'exploitation des vaincus, ils n'ont pas hésité à travestir la Bible. Mais en Amérique, les esclaves noirs ont découvert que le Dieu biblique était plus proche d'eux que de leurs oppresseurs, et qu'il partageait en Jésus-Christ leur détresse et leurs espérances. Rejetant les mystifications du christianisme des Blancs, ils en vinrent à proclamer leur foi en un Dieu noir, père et libérateur de ses enfants noirs tenus en esclavage. Et face aux Eglises des Blancs, il fondèrent des Eglises noires pour vivre debout dans la prière et la militance, en mobilisant leurs propres traditions. Il en résulta un christianisme original, résolument engagé et d'une pathétique exubérance, illustré par les Negro spirituals et les Gospels. Libération économique en Amérique latine Après les dictatures militaires, l'Amérique du sud s'est trouvée livrée aux ravages de cette nouvelle idolâtrie que constitue le néolibéralisme économique : "Hors du marché, pas de salut !" Une minorité de privilégiés s'enrichit outrageusement, tandis que la grande majorité de la population s'appauvrit et que les plus faibles sombrent dans la misère. Dans cette situation d'injustice institutionnalisée, l'Eglise se remit en question pour se conformer aux exigences de l'Evangile, et elle décida de mettre en úuvre "un amour préférentiel pour les pauvres" afin d'accorder ses actes et ses paroles. B. Chenu explique que cette option radicale ne relevait d'aucune stratégie politique, mais qu'elle a été commandée par une prise de conscience plus vive de la véritable identité du Dieu de Jésus-Christ : "Dieu est le Dieu de tous, mais pas de la même manière. Il a choisi son camp : il est du côté des perdants." C'est en étant le Dieu des pauvres qu'il témoigne de sa justice qui sauve, et ce n'est qu'en luttant avec les pauvres que les chrétiens peuvent anticiper la fraternité qui est le signe du royaume de Dieu. Renaissance culturelle en Afrique Saignée par la traite des esclaves pendant près de deux siècles et demi, défigurée et pillée par des décennies de colonisation, puis trompée par de multiples formes de néo-colonialisme, l'Afrique est aujourd'hui victime des pires maux. En politique, l'instabilité et les guerres profitent à des dictateurs corrompus, multiplient les exodes et déciment des populations entières ; au plan économique règnent la faim et le chômage, entretenus par la charge de la dette extérieure ; la situation sanitaire est hypothéquée par la pandémie du sida et la résurgence de diverses maladies endémiques ; et au plan culturel, l'analphabétisme continue à représenter un handicap majeur. Pourtant, ce continent quasiment "hors monde" actuellement dispose de considérables richesses humaines et matérielles. Comment les Eglises africaines répondent-elles à l'immense espoir de vie qui habite toujours et malgré tout l'Afrique ? Harmonie et justice en Asie Regroupant plus de la moitié de la population de la planète, l'Asie se compose d'une pluralité de mondes sous l'angle des cultures et des religions, avec notamment l'hindouisme, le bouddhisme et l'islam à côté de la minorité chrétienne. En dépit de violents conflits, cette diversité est fondamentalement considérée comme une richesse et une promesse d'unité. L'Asiatique croit que les vérités particulières des différentes traditions religieuses renvoient toutes à l'unique Vérité de la Réalité ultime, en qui toutes choses se retrouvent et s'interpénètrent. Les voies pour y accéder peuvent varier dans les formes, mais elles passent toujours par l'ascèse et la contemplation, par la méditation et la prière silencieuse qui met l'homme au diapason de cette Vérité. B. Chenu cite à ce propos un texte élaboré par des hindous et des chrétiens indiens en 1995 : "L'harmonie est la poursuite spirituelle de la totalité de la réalité dans sa diversité infinie et dans sa radicale unité. Et puisque le fondement ultime de l'être est l'unité-dans-la-pluralité, les formes divergentes de la réalité sont perçues dans le rythme convergent qui les harmonise." Fidélité à l'essentiel En écho aux grands thèmes transversaux de la conférence - lutte pour la justice et la paix, approfondissement des traditions reçues, et célébration des richesses de la foi -, B. Chenu a conclu par trois recommandations : "Ne te dérobe pas à ton semblable" (Is 58,7), "Pour te désaltérer, ne méprise pas l'eau de ton propre puits ", "Dieu, personne ne l'a jamais vu ; mais (sache que) le Fils unique, qui demeure dans l'intimité du Père, l'a fait connaître" (Jn 1,18). Il n'existe pas de remèdes miracle pour régénérer notre vieille Eglise d'Occident, mais la visite des jeunes Eglises du tiers-monde a montré que la vie se lève là où la foi s'incarne dans l'épaisseur des réalités humaines, là où les espérances de libération et de bonheur des pauvres sont perçues comme des prières que Dieu adresse à l'homme au plus profond du cúur de chacun. Des prières qui obligent les chrétiens et les Eglises à combattre sans se ménager pour humaniser le monde et y faire advenir DieuÖ Jacqueline Kohler
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