L'homme Jésus et Dieu Compte-rendu de la conférence de Jacques Duquesne Journaliste, essayiste et romancier 1998, Altkirch |
Le journaliste mène une enquête passionnante sur un certain Jésus de Nazareth. Puis l'essayiste chrétien s'interroge sur le Dieu révélé par ce Jésus et dit ce qu'il croit. En congédiant beaucoup d'idées reçues, Jacques Duquesne prend le risque de choquer. Mais chercher la vérité n'a jamais été de tout repos. La foi n'est pas un héritage fossile, mais - dans la fidélité à l'essentiel - une histoire d'amour sans cesse à réinventer.
Quatre cents personnes pour entendre J. Duquesne parler de Jésus et du Dieu révélé par lui. Un grand nombre de jeunes et d'adultes dans la force de l'âge, des non-pratiquants à côté du public habituel, quelques groupes venus de loin. La notoriété du conférencier n'était évidemment pas étrangère à cette affluence. Mais qu'on ne se trompe pas : ce n'est pas la curiosité de voir un non-conformiste qui a déplacé tant de monde, ni l'envie de compter les coups d'une polémique. C'est simplement l'intérêt pour les questions religieuses, quand elles sont abordées de manière libre et honnête, sans présupposés camouflés ni faux-savoirs, à la lumière des interrogations et découvertes de notre temps. Beaucoup de gens regrettent les carences de leur culture religieuse, éprouvent le besoin de se libérer de ce qu'ils ne peuvent plus croire, et désirent découvrir ce que leur foi chrétienne devrait être aujourd'hui. C'est cela qu'ils sont venus chercher : du sens pour leur vie et de l'espérance pour l'avenir. J. Duquesne a pris au sérieux cette attente. Avec audace et modestie, il a parlé de Dieu, de la création, de l'incarnation, de la joie et de la souffrance des hommes, de leur soif de libération ou de salut, de la vocation divine de l'humanité. Il a dit ce qu'il sait et ce qu'il croit, en se référant aux textes fondateurs et aux traditions des Eglises, aux recherches des exégètes et des théologiens. Il a montré comment notre connaissance de Dieu et du monde peut évoluer et s'approfondir, cependant que l'ultime vérité de toute chose demeurera toujours de l'ordre du mystère. Il n'a bien entendu épuisé aucun sujet, mais a ouvert des portes sur des horizons nouveaux. Sans doute le conférencier n'aura-t-il guère surpris en dénonçant l'image d'un dieu comptable et vengeur, qui aurait exigé le sacrifice sanglant de son fils pour racheter une hypothétique faute collective imputable aux premiers humains. Par contre, il a beaucoup intrigué en dévoilant un Dieu inachevé et dépendant, en devenir à travers sa création et son oeuvre de salut, irrémédiablement impliqué dans l'histoire humaine. Le Dieu de Jésus se révèle alors comme un Dieu tout amour qui s'est livré à la merci des hommes, à l'opposé d'un Dieu tout-puissant qui tiendrait les hommes à sa merci. Les questions et prises de position du public furent nombreuses et pertinentes, et les enjeux semblaient tels que le débat aurait pu se poursuivre tard dans la nuit. Alors qu'une partie des auditeurs s'étaient donné la peine de lire les derniers livres de J. Duquesne avant la soirée, beaucoup les achetèrent à la sortie pour mieux comprendre les thèmes abordés dans la conférence. Mais il est clairement apparu que d'autres rencontres seraient nécessaires pour approfondir les perspectives entrevues. Car, moins que jamais, la foi ne peut se réduire à un lot de croyances toutes faites héritées du passé, à un dépôt sacré qu'il suffirait de transmettre comme un relais inerte sous le contrôle des entités ecclésiastiques. Elle ne peut être qu'une histoire d'amour à réinventer sans cesse, au fil des générations et au cours de chaque vie, dans la fidélité à l'essentiel. Ce que le monde est en droit d'attendre des chrétiens, c'est qu'ils fassent renaître Dieu aujourd'hui, en incarnant son amour dans l'histoire actuelle. Hors de là, tous les discours sont superflus et Dieu n'a besoin d'aucune prière ni d'aucune louange. Mais faire renaître Dieu, ce Dieu-avec-nous d'Israël et de Jésus-Christ, est la tâche humaine la plus difficile et la plus risquée. Elle exige de quitter les paresses dogmatiques et la langue de bois, de renoncer aux bavardages moralisants et aux alibis humanitaires, de sortir des ghettos confessionnels et des cérémonials désuets. Dieu n'est pas ce que les hommes en ont fait à leur mesure, pour justifier et servir leurs propres intérêts, fussent-ils religieux. Dire Dieu à nos contemporains, n'est-ce pas d'abord reconnaître qu'il ne veut et ne peut exister dans le monde que là où les hommes le font advenir à travers l'amour et le service de leurs frères - à commencer par les plus humbles ? N'est-il pas provoquant d'avoir choisi J. Duquesne comme conférencier, alors qu'il n'est pas théologien, n'est investi d'aucune charge officielle, et - surtout - risque de choquer une partie de l'auditoire ? A quel titre parle-t-il, et quelle valeur peut-on accorder à ses dires ? On relèvera d'abord qu'être docteur en théologie ou détenteur d'un magistère n'évite pas toujours aux intéressés de commettre des imprudences ou de dire des sottises. L'histoire de l'Eglise le prouve amplement. La pertinence d'une parole ne se mesure ni aux diplômes ni aux titres officiels, et chaque homme est libre de présenter ses vues comme de témoigner de sa foi. Pour ce qui est du risque de choquer, il est sûrement moindre avec J. Duquesne qu'il ne serait avec nombre de théologiens renommés, ou même avec certains évêques. En réalité, les choses sont simples : loin de vouloir à tout prix déranger les fidèles béats ou assoupis, J. Duquesne s'adresse aux hommes et aux femmes qui estiment sain et utile de formuler clairement les questions qui se posent aujourd'hui, et ce même si ces questions ne trouvent pas de réponses toutes prêtes, ou si certaines réponses nouvelles peuvent surprendre. Il n'a reçu aucune révélation particulière pour passer au crible l'héritage reçu, et pour distinguer l'essentiel de l'accessoire ; mais c'est en sa qualité de croyant, ni plus ni moins, et en mettant son talent d'écrivain au service de sa foi, qu'il essaye de partager ce qui lui tient passionnément à coeur. Jacqueline Kohler |