Repenser la foi dans le monde actuel |
Que devient la foi chrétienne ? "Nos enfants ne vont plus à la messe ou au culte le dimanche, et nos petits-enfants y vont de moins en moins à mesure qu'ils grandissent." Combien de grands-parents, y compris et peut-être surtout parmi les plus fervents, peuvent aujourd'hui affirmer le contraire ? La foi chrétienne serait-elle condamnée à disparaître ? De fait, les jeunes générations ne fréquentent plus guère les églises et les temples, la transmission de la culture et des convictions religieuses est sérieusement grippée, les structures ecclésiales se délitent faute de vocations, et la société civile s'est affranchie des Eglises pour définir son cap dans un monde désormais laïque. Le christianisme hérité de la chrétienté a bel et bien implosé, et ce quelles que soient les illusions qu'entretiennent ici ou là des résurgences de type intégriste, charismatique ou autre au demeurant fort ambigües. Même si le "retour du religieux" (dont on parle tant) devait se révéler massif, il ne constituerait nullement la panacée puisqu'il s'agirait plutôt d'une recomposition du champ religieux que d'une renaissance du passé. Mais l'avenir de la foi est-il subordonné à la survie des formes obsolètes d'une religion révolue ?
Dans le sillage du passé Les zélateurs de la religion qui recherchent des boucs émissaires pour exorciser le mal tapi dans notre société n'ont que l'embarras du choix. Rien n'échappe à leurs accusations : un matérialisme pervers gangrène l'humanité, les mécréants profanent les choses les plus sacrées et subvertissent la foi, et la Sainte-Eglise elle-même n'est plus ce qu'elle était ! Pour remédier à cette situation de perdition, il faudrait donner la chasse aux non-conformistes et autres fauteurs de désordre, puis retrouver les croyances et les moeurs d'autrefois, réhabiliter les traditions, relancer la propagande religieuse, et multiplier les grand-messes médiatiques qui galvanisent les communautés. Somme toute, il faudrait reprendre le contrôle de la société sous la bannière d'une foi conquérante, et restaurer l'ordre social ancien prétendu conforme à la volonté de Dieu. Mais ce type de perspective est non seulement anachronique : il est dangereux comme le manifestent les prolongements religieux et politiques qui s'en réclament. Il est donc heureux que notre société s'en défende. A l'opposé des visées de reconquête, la tendance générale des Eglises est au repli. Le développement du monde profane en-dehors des sphères religieuses est considéré comme un phénomène de civilisation impossible à contrecarrer, qu'il convient par conséquent de supporter au moindre coût en attendant d'hypothétiques jours meilleurs. Pour sauver les meubles (et si possible les immeubles) dans ce contexte, on procédera à des aménagements de survie en restructurant le système religieux établi et en modernisant ses dispositifs de communication. Le programme est vaste : préserver l'autorité des institutions et des doctrines en consolidant les instances ecclésiastiques dirigeantes, créer de nouveaux ministères pour assurer les fonctions subalternes, réorganiser les paroisses et les aumôneries en regroupant ce qui en reste, rénover le discours religieux en habillant les doctrines d'hier des mots d'aujourd'hui, rajeunir les liturgies traditionnelles en recourant aux innovations techniques et aux symboles à la mode, et accompagner de "formations" appropriées chacune de ces mesures - sans oublier de défendre les avantages acquis du Concordat... Mais, pour utiles que puissent être ces actions, elles paraissent très accessoires au regard des véritables enjeux de l'évolution en cours, car - pour ce qui est de l'essentiel - l'avenir de Dieu sur terre se joue ailleurs que dans les restructurations et les inventions communicationnelles. Quant à l'identification des minorités fidèles à la catégorie du "petit reste d'Israël" porteur du salut au milieu des nations impies, elle est consolante mais se révèle n'être en fin de compte qu'une attitude frileuse, qui dissimule beaucoup de prétention sous une apparente modestie. A l'aube d'une ère nouvelle Les temps ont beaucoup changé et changeront davantage encore, mais pourquoi ne pas croire que l'histoire des hommes continue à être histoire de Dieu, et ne pas regarder en face la situation actuelle du monde et des Eglises pour s'interroger sur les exigences inédites de la foi chrétienne dans la conjoncture nouvelle ? Pourquoi s'obstiner à prétendre, contre toute évidence, que nos contemporains devraient pouvoir reconnaître l'Evangile dans les représentations et les pratiques que nous leur proposons, alors que notre religion est encombrée de croyances et traversée de stratégies qui lui enlèvent toute crédibilité à leurs yeux ? Pourquoi tant de prêtres et de pasteurs se consacrent-ils en priorité à rassurer et à entretenir des communautés exsangues, minées par l'obsession de leur survie sociale et du salut éternel, au lieu d'aller vers les hommes et les femmes qui aspirent à rencontrer Dieu dans leur vie présente en oeuvrant à l'avènement de sa justice et de sa paix ? Pourquoi les Eglises se montrent-elles si réticentes à l'égard des initiatives qui, en leur sein ou ailleurs, enfantent les formes nouvelles du christianisme de demain ? N'est-il pas temps de quitter les tombeaux vides et les vaines cérémonies qui y prolongent un passé mort, pour rejoindre les chantiers où Dieu vit sa destinée humaine au milieu des hommes d'aujourd'hui ? La foi chrétienne ne pourra continuer à exister et à être source de vie que si, dans la fidélité à l'Esprit qui l'anime, elle accepte de se remettre réellement en question, de se repenser dans le cadre de la culture moderne et des problèmes du monde contemporain - tout comme elle s'est pensée à frais nouveaux dans les cultures où elle s'est incarnée à l'origine et à divers moments cruciaux de son passé. Au lieu de condamner le croyant à s'exiler de la civilisation qui est la sienne, la foi doit lui permettre de s'y épanouir et de la servir. Au lieu de renier notre civilisation comme une mère qui renie un enfant qu'elle n'a pas désiré et qu'elle ne sait pas aimer, les Eglises devraient l'accompagner en lui faisant confiance. Certes, il est vrai que la modernité a donné lieu aux pires guerres de l'histoire humaine, qu'elle charrie les plus graves dangers pour l'avenir de la planète, et qu'elle est loin d'exaucer les attentes messianiques qui ont été placées en elle. Mais il n'est pas moins vrai qu'elle est aussi porteuse de l'immense espérance qui est au coeur du monde et qui a sa source dans l'espérance d'un Dieu qui croit en l'homme. Incontestablement, la modernité a contribué à libérer les hommes et les femmes d'une foule d'aliénations et d'esclavages (dont les aliénations religieuses ne furent pas les moindres), à promouvoir une humanité plus libre et plus responsable, plus apte à répondre à sa vocation de participer à la vie de Dieu ; et face à ces horizons-là, l'aventure humaine n'en est peut-être qu'à ses débuts... L'avenir de la foi n'est pas inscrit dans l'héritage reçu du passé, il reste à inventer en même temps que l'avenir de l'homme et du monde. L'histoire n'est pas finie : tant qu'il y aura des hommes, Dieu continuera à jouer son destin entre leurs mains. Questions à un théologien Dans le prolongement du travail d'information, de réflexion et de dialogue entrepris depuis 1997 par les Conférences Culture et Christianisme dans le Sundgau, Laurent Gagnebin, Critique littéraire et philosophique, Professeur à la Faculté de Théologie Protestante de Paris, interviendra le 11 mai prochain à la Halle au Blé d'Altkirch sur le thème : "Repenser la foi dans le monde actuel". C'est avec la compétence d'un théologien spécialiste de l'athéisme contemporain et avec une cordialité issue d'une longue pratique pastorale qu'il répondra aux questions posées. Que reste-t-il des doctrines qui ont présenté la vie sur terre comme un exil, situant la véritable patrie des hommes dans un paradis extraterrestre ? Les combats menés par l'athéisme contre les aliénations religieuses n'ont-ils pas constitué, de façon paradoxale, une contribution à l'oeuvre de libération dont se réclame la foi ? La foi peut-elle, après les guerres et les génocides du XXème siècle, assumer le scandale de la souffrance qui ne cesse d'écraser injustement une multitude de personnes et de peuples ? En quels termes se pose la question des rapports entre la foi et le monde à l'heure où beaucoup d'hommes pensent que les croyances religieuses ne sont que des illusions par rapport aux découvertes des sciences ? J.-M. Kohler
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