Programmé bien avant les tragiques attentats islamistes qui ont frappé les Etats-Unis, le thème de cette conférence est aujourd'hui d'une brûlante actualité. Alors que l'athéisme du siècle dernier avait pronostiqué la fin des religions, celles-ci se montrent encore capables d'intervenir pour le meilleur comme pour le pire dans le monde contemporain.
Mêlées aux autres forces sociales, elles peuvent contribuer au progrès de la justice et de la paix, ou à l'aggravation des divisions et des haines. En tant que structures autonomes, elles peuvent collaborer pour mettre en úuvre les valeurs qu'elles proclament, ou s'entre-déchirer sans merci au mépris de ces mêmes valeurs. La pluralité des religions semble désormais un fait social insurmontable ; mais le pluralisme religieux, qui implique une coexistence constructive des religions, apparaît comme un important défi pour notre temps.
Catalyseur
Les risques liés au fondamentalisme islamiste prouvent que l'évolution sociopolitique des religions est déterminante dans la conjoncture actuelle. Mais la situation étant d'une grande complexité, ces risques ne peuvent être appréhendés que moyennant une analyse rigoureuse de l'ensemble des facteurs économiques, politiques et culturels qui sont en jeu. De fait, les valeurs présentées comme universelles par la culture occidentale issue du christianisme n'évoquent souvent qu'une idéologie hégémonique pour les peuples dominés ; et il faut reconnaître que les modes de vie que légitiment ces valeurs, âprement défendus par les pays privilégiés qui en profitent, ne sont pas globalement généralisables. L'Islam regroupant une fraction importante des populations injustement et dangereusement marginalisées à travers le monde, il est quasiment inévitable qu'il serve de catalyseur aux revendications nourries par les inégalités. Quant au christianisme, s'il veut être fidèle au Dieu dont il se réclame, il devra se dégager des liens historiques qui l'ont inféodé aux structures dominantes, et participer réellement - pas seulement en paroles - à la libération matérielle et spirituelle des populations pauvres et opprimées.
Préalable théologique
Pour urgente que soit l'approche sociologique et géopolitique des dynamiques religieuses, elle ne dispense pas d'une réflexion préalable sur la spécificité des religions, sur leurs prétentions respectives, et sur les relations qu'elles entretiennent entre elles ou qu'elles pourraient promouvoir dans le futur. Spécialiste de la théologie des religions, le dominicain Claude Geffré proposera une telle réflexion dans le cadre de la conférence organisée sur ce thème par Culture et Christianisme.
Professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris et ancien directeur de la célèbre collection Cogitatio fidei aux Editions du Cerf, il est internationalement connu pour ses travaux sur l'herméneutique. A la tête de la prestigieuse Ecole biblique et archéologique de Jérusalem, il s'est trouvé confronté aux interrogations suscitées par la coexistence difficile des monothéismes judaïque, chrétien et islamique ; également très attentif aux autres grandes traditions religieuses du monde, il en est venu à penser qu'une véritable théologie interreligieuse devrait se substituer à la théologie classique des religions. Auteur de nombreux articles et ouvrages théologiques qui font autorité, il offre au grand public une solide synthèse de sa pensée et de ses convictions dans ses entretiens avec G. Jarczyk, publiés sous le titre : "Profession théologien. Quelle pensée chrétienne pour le XXI° siècle ?" (Ed. Albin Michel, 1999).
Dépasser l'exclusivisme
La problématique de la conférence de C. Geffré s'articulera autour de quatre questions. Quelle est la nouveauté du dialogue interreligieux par rapport au dialogue úcuménique interconfessionnel ? Faut-il croire que le christianisme constitue la seule religion vraie et que les autres religions ne peuvent pas mener leurs fidèles au salut ? Les autres religions ne sont-elles pas porteuses de vérités singulières et irréductibles quíil convient de reconnaître en tant que telles ? Comment les religions peuvent-elles dépasser l'exclusivisme qui les structure pour dialoguer entre elles et úuvrer ensemble dans le monde ? Comme d'habitude, un débat public permettra aux auditeurs d'intervenir pour s'interroger sur les idées proposées, pour les contester ou les compléter.
Clair et exigeant
L'interview que C. Geffré a accordée à Culture et Christianisme, disponible sur le site Internet <https://www.pacariane.com/CCCSundgau>, permet d'esquisser les perspectives inédites dans lesquelles s'inscriront les développements du conférencier. D'une façon générale, il faut souhaiter que les religions surmontent ce qui les oppose au plan des réalités immédiates, pour intervenir ensemble sur le chantier des grandes causes humaines ; leur crédibilité est au minimum à ce prix. On peut également souhaiter que les religions échangent leur expérience en matière de spiritualité, de prière et de mystique, de manière à s'enrichir mutuellement et à témoigner ensemble de la transcendance à laquelle elles se réfèrent sous des appellations diverses. Enfin, pour progresser dans l'approche de la vérité, on peut souhaiter que s'instaure un dialogue interreligieux clair et exigeant, amenant chaque religion à approfondir les croyances qu'elle propose à la lumière de celles véhiculées par les autres religions ; mais il serait naïf de sous-estimer les difficultés que cette entreprise comporte.
Proximité nouvelle
Porté par la mondialisation, qui organise une proximité nouvelle entre les hommes mais risque de détruire leurs identités culturelles et religieuses particulières, le dialogue interreligieux peut contribuer à "instaurer un certain universalisme tout en reconnaissant la singularité de chaque religion (et de chaque culture)". Légitime du point de vue de la foi, "l'affirmation d'un universalisme de principe n'autorise pas le christianisme historique à revendiquer une universalité effective par rapport aux autres religions". Celles-ci peuvent à leur manière refléter le vrai Dieu et conduire à lui leurs fidèles : "il serait abusif de prétendre que l'Eglise détient le monopole de la vérité et du salut". Quelle que soit la religion, les vérités accessibles à l'homme (y compris les vérités révélées) ne peuvent être que des "manifestations partielles de la vérité, car la vérité totale n'apparaîtra qu'à la fin de l'histoire, quand le mystère de Dieu se révélera pleinement et assumera le mystère de l'homme". En attendant, le christianisme doit se souvenir qu'il est "issu d'une croix où Dieu et l'homme ont connu le plus total dépouillement, et il doit cheminer avec les hommes et leurs cultures dans le respect de l'humilité et du silence de Dieu ".
J.-M. K.
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