Article paru dans le journal "L'Alsace" du 19 octobre 2003 |
Jean-Claude Guillebaud à Altkirch L'humanité menacée Quels sont les risques de dévoiement et de destruction que comporte le prodigieux développement de l'économie et des sciences ? Comment, face aux logiques dominantes, retrouver la maîtrise de notre devenir et ce que les chrétiens appellent l'espérance ? Après avoir étudié ces questions dans ses derniers essais, J.-C. Guillebaud en traitera dans le cadre des Conférences Culture et Christianisme à la Halle au blé d'Altkirch le 24 octobre. Reporter de guerre en Asie, au Proche-Orient et en Afrique pour "Le Monde" et "Le Nouvel Observateur", J.-C. Guillebaud a longuement côtoyé les atrocités et la mort, troublé de voir combien nos sociétés ignorent les drames de l'humanité et se croient à l'abri de la barbarie et de l'épouvante. Editeur au Seuil depuis les années 80 et essayiste, il scrute les bouleversements de la modernité, explore de nouveaux chemins pour sauvegarder l'homme, et propose au grand public la réflexion des chercheurs les plus qualifiés. S'interrogeant devant les impasses du rationalisme et du matérialisme contemporains, il a redécouvert la pertinence du message chrétien. Périls et promesses Les progrès scientifiques et technologiques transforment à tel point les conditions de notre existence que personne ne peut prédire ce que deviendra l'humanité. Où mènera la manipulation du vivant par la génétique désormais capable de contourner les mécanismes de la procréation et de créer des espèces nouvelles ? Comment l'homme pourra-t-il se situer dans l'espace-temps virtuel que l'informatique substitue aux repères concrets qui nous sont familiers ? Sommes-nous condamnés à subir la logique d'une économie de marché ultralibérale qui élimine le politique et la liberté humaine ? La mutation en cours renvoie par son ampleur à la révolution néolithique survenue dix mille ans avant notre ère… Ces perspectives suscitent l'angoisse. Mais J.-C. Guillebaud estime que le propre de l'homme est de refuser la fatalité, de résister aux forces de destruction, et de créer un avenir pour l'humanité en tirant le meilleur parti des possibilités nouvelles. Alors que beaucoup de nos préoccupations sont dérisoires au regard des urgences du monde, il appelle à une prise de conscience des enjeux cruciaux de la situation actuelle et à un engagement résolu dans les combats qu'exige la survie de l'humanité. Qu'il s'agisse de la science, de la technologie, de l'économie ou de la politique, elles n'ont de sens qu'au service des hommes, et des plus défavorisés en premier lieu. Chaque personne est, à son niveau, responsable de l'évolution en cours. Croire en l'homme En affirmant l'égale et absolue dignité de tous les hommes, le christianisme a changé la face du monde. La civilisation occidentale lui est redevable, en même temps qu'au judaïsme et à la pensée grecque, de la plupart de ses valeurs essentielles, y compris de celles revendiquées par une modernité émancipée du religieux. Mais alors, la réussite de cette religion marque-t-elle sa fin ? Que peut encore signifier aujourd'hui le fol événement de la croix qui, selon saint Paul, a manifesté la sagesse divine, aux antipodes des sagesses humaines ? J.-C. Guillebaud connaît les insuffisances passées et actuelles des Eglises, mais le christianisme reste à ses yeux porteur d'une formidable espérance. Témoin par excellence des victimes et de leur innocence face aux dominants et aux persécuteurs, la foi chrétienne est la plus radicale des forces de subversion opposables aux ordres politiques et religieux qui asservissent l'homme. Loin de représenter un monopole confessionnel, cette espérance est à partager avec toutes les personnes de bonne volonté, car la foi en Dieu implique pour les chrétiens la foi en l'homme et en sa vocation d'humaniser le monde. D'où la dernière question posée à J.-C. Guillebaud : Et si, après deux mille ans de christianisme, l'aventure chrétienne ne faisait que commencer ?
|