"Lettres à un jeune prêtre"

Pietro De Paoli, Éd. Plon 2010
Préface de monseigneur Jean-Michel di Falco Léandri


Prêtre au service des hommes

Catho et néanmoins évangélique

Composé d’une douzaine de lettres fictives adressées par un évêque de tendance progressiste à un jeune prêtre plutôt traditionaliste, ce remarquable petit livre est catholique à plusieurs titres. D’abord, au meilleur sens du terme : en offrant un message foncièrement universel, « bonne nouvelle » proposée sans préalable à tous les hommes - c'est ce qui sera retenu ici. Puis, en un sens plus spécifique : en portant un intérêt particulier au sacerdoce et à l’eucharistie, et en se souciant du vécu actuellement malaisé des prêtres. Enfin, accessoirement, d’un point de vue catho-catholique : par une trompeuse photo de la page de couverture, à travers la préface d’un prélat dont la prudente ambivalence ecclésiastique cache mal les solidarités institutionnelles, et moyennant un épilogue inattendu. Que le lecteur qui bute sur la signature de « Monseigneur Jean-Michel di Falco Léandri, Évêque de Gap et d’Embrun » (excusez du peu !) passe outre : les lettres de l’évêque imaginaire Marc Belhomme rachètent mille fois la préface (1).

Dédié aux prêtres, il va de soi que le livre parle prêtrise et célébration de la messe. Cela n’intéresse pas tout le monde au premier chef, mais cette approche s’avère en fin de compte bienvenue en dépit des limites de la théologie qui la sous-tend. Beaucoup d’hommes engagés dans cette voie y puiseront espérance et courage face à une évolution qui décrédibilise leur vocation et malmène leur existence. Leur consolation passera par un salutaire examen critique des fonctions sacerdotales issues d’une histoire bimillénaire qui a souvent mêlé le pire au meilleur. Et elle se nourrira de la conviction sereine et joyeuse qui inspire ces lettres quant à la possibilité de servir nos contemporains selon l’évangile en assumant les exigences constitutives du sacerdoce chrétien. Autre utilité de ces lettres, et non la moindre, elles proposent un cadre de dialogue et de collaboration des plus féconds entre les prêtres et les laïcs, tout à fait approprié au dépassement des oppositions stériles liées à un héritage religieux révolu.

Mais cette correspondance vaut surtout par son esprit évangélique. Par delà les préoccupations ecclésiastiques et une représentation dépassée de l’Église et des sacrements, elle interpelle, au nom de l’évangile, n’importe quel chrétien et jusqu’aux non-chrétiens qui s’interrogent sur l’évolution spirituelle de la société moderne ou post-moderne. D’une foi libre et responsable, les lettres de Marc Belhomme sont précieuses par leur modestie autant que par leur lucidité. Elles prennent à bras le corps les graves questions que soulèvent non seulement le mal-être du clergé happé par le doute ou la présomption après Vatican II, mais l’effondrement du christianisme traditionnel en général et le vide qui s’ensuit. Chacun pourra y trouver, rapporté aux difficultés que rencontrent l’Église et le monde contemporains, ce qui constitue l’essentiel du message de Jésus de Nazareth (2). Les nombreuses citations proposées ci-après ne visent qu’à susciter l’envie de lire ces lettres qui sont d’une richesse impossible à résumer, marquées par la transcendance d’une foi profonde en même temps qu’empreintes de compréhension et de tendresse, écrites dans un style enlevé et plaisant.

Une foi libérée du passé

Face aux difficultés, les hommes aiment à idéaliser le passé. Marc Belhomme refuse cette régression et s’inscrit résolument dans le monde présent au nom de sa foi en un Dieu qui intervient dans l’histoire. Les épreuves pouvant elles aussi être providentielles, il n’hésite pas à écrire : « Les signes de la “ruine de la chrétienté” à travers les églises vides ne m’émeuvent guère... Les clercs, nous avons perdu notre situation de puissance économique, politique, sociale, culturelle... N’est-ce pas la situation que Dieu lui-même a choisi d’avoir devant sa créature ? » S’affirmant, pour cette raison, « très heureux que nous, les prêtres, les évêques, ayons quasiment perdu la considération et la reconnaissance sociale que nous avions autrefois », il se réjouit de constater que « la plupart des gens n’ont plus peur d’être damnés, plus peur d’aller en enfer », qu’ils ont réussi à se délivrer des terreurs religieuses.

Le dénuement qui résulte de cette évolution permet de relativiser la gloire dont l’Église s’est parée durant des siècles, et de scruter les exigences d’une incarnation actuelle de l’évangile. La disparition de l’ancien ordre social et religieux n’a rien d’affligeant aux yeux de Marc Belhomme, au contraire : « À y regarder d’un peu près, cette “chrétienté” était un monde terrible et violent. La vie humaine n’y avait pas grand prix. Les famines et les épidémies fauchaient des générations entières. Pense à la mortalité infantile, à toutes ces femmes qui mettaient des enfants au monde “pour la mort”... Pense aussi à la violence sociale, à l’outrecuidante richesse des riches, à leur superbe, à leur arrogance... Pense à la violence de la justice, à la torture, à l’atrocité des condamnations à mort. Ce monde dit “chrétienté” ne me semble guère enviable et je ne vois pas qu’il ait été plus juste, ni plus paisible, ni plus miséricordieux que le nôtre. »

Marc Belhomme ne se montre pas plus indulgent pour l’Église en tant que système politico-religieux. Il rappelle qu’elle a continûment été inféodée aux catégories sociales dominantes : à l’aristocratie, puis à la bourgeoisie et aux puissances d’argent. Âprement attachée à ses privilèges et défendant par solidarité ceux de ses alliés, elle s’est régulièrement opposée aux remises en cause de l’ordre social établi, et notamment « à tout ce qui était issu de la Révolution française : les droits de l’homme, la liberté de conscience, la démocratie et la République ». Soigneusement occultée, son attitude au cours de la Deuxième Guerre mondiale a été particulièrement honteuse : « L’épiscopat français, à part quelques notables et héroïques exceptions près, s’est acoquiné avec le pouvoir de Vichy, a béni la “révolution nationale” et s’est donné sans état d’âme à la collaboration. »

La perte des savoirs religieux traditionnels ne chagrine pas Marc Belhomme. L’oubli de la « caricature de Dieu » que le catéchisme et la prédication ont couramment véhiculée lui paraît plutôt satisfaisant : « Un petit Dieu, mesquin, ratatiné, un Dieu enfermé dans le carcan des mots, emprisonné dans l’étroitesse de nos petites cervelles et de nos cœurs secs. » Si nos contemporains n’ont pas « envie de voir Dieu », de le retrouver, c’est parce que beaucoup estiment « l’avoir assez vu », certains allant jusqu’à dire qu’il « leur en a assez fait voir ». Avant de vouloir enseigner Dieu aux autres, il faut essayer de les comprendre et apprendre à les accompagner sur leurs chemins, en écoutant le Dieu qui marche à leurs côtés. La connaissance évangélique ne relève d’aucun savoir ou pouvoir, elle ne peut s’acquérir qu’à la faveur d’un partage, d’une communion. Marc Belhomme exhorte son correspondant à « découvrir qu’il a un cœur de chair, capable de se réjouir avec ses frères et sœurs, et non un cœur de pierre sur lequel serait gravé une loi d’airain ».

Pour éclairer la désertion des lieux de culte, Marc Belhomme ose une comparaison pour le moins surprenante, voire choquante : « Quand on ouvre les portes des prisons, en général, les gens sortent plutôt qu’ils n’entrent. » Il s’explique en ces termes : « La pratique religieuse était une obligation sociale et le message était un message de contrainte et de chantage : nous avons les clés du ciel, si vous ne nous écoutez pas, vous serez damnés. » Au jeune prêtre qui déplore que le « véritable sens du catholicisme » se soit perdu, il répond sans ambages : « Si c’est la logique de la terreur, je ne regrette rien. Tant pis si les églises sont vides parce que les gens y venaient pour de mauvaises raisons. » Monseigneur Lefèbvre a eu raison, dit-il, de considérer que Vatican II a sapé la religion : « Le poison du concile, c’est la déclaration sur la liberté religieuse et son corollaire qui est la liberté de conscience. » Mais vouloir conserver ou restaurer la religion n’est qu’une vaine obsession, alors qu’il faut « passer d’une pastorale de la peur à une pastorale de la responsabilité » pour que l’Église rayonne l’évangile.

De vieux démons toujours vaillants

Il se dit que l’Église manque de visibilité et qu’elle devrait par conséquent s’afficher davantage. Marc Belhomme rejette ce point de vue : « De la visibilité, nous en avons : il y a des églises vides et fermées partout... Être visible, c’est facile... Mais est-ce que ça fait résonner l’évangile ? Notre visibilité n’a aucune importance, nous ne sommes pas une multinationale qui mène une politique d’image. » L’évangile n’est pas assimilable à une marchandise qu’il serait possible de promouvoir par la publicité comme un quelconque produit alimentaire, des contrats d’assurance ou des services bancaires. Orchestrer des grand-messes, de grandioses rassemblements, des campagnes médiatiques est une mode qui ne mène à rien de durable : « Jean-Paul II, ce pape surdoué de la communication, dont ni la foi ni le charisme ne peuvent être mis en doute, a attiré un million de personnes à Paris. Un million. Où sont-elles ? » La vanité est une vieille compagne et reste une séductrice invétérée.

Marc Belhomme s’oppose de même aux positions « révisionnistes » qui « prétendent que ce sont les changements liturgiques, les “innovations”, la disparition du latin et des soutanes qui ont jeté les gens hors des églises ». Il note que la désertion des fidèles a commencé bien avant l’abandon du latin et ajoute avec humour que « la messe et les sacrements sont toujours célébrés dans une langue terrienne parce que, jusqu’à preuve du contraire, nous ne connaissons aucune langue “divine” ou “sacrée” ou “angélique” ». S’agissant des « dévotions très catholiques » comme le culte marial, l’adoration du saint sacrement, la vénération des saints et des reliques, il recommande la circonspection en notant que « beaucoup flirtaient avec l’idolâtrie quand ce n’était pas avec le paganisme ». Par ailleurs, le conservatisme manipulateur qui se dissimule à l’abri de la religion lui semble des plus pernicieux : « Derrière la revendication de la “messe de toujours” se cache trop souvent un combat politique. La religion devient l’instrument qui soutient l’ordre “naturel” où chacun demeure à la place que (prétendument) Dieu lui a fixée. Les femmes à la maison, les ouvriers à l’établi, les prêtres à l’autel et les rois sur le trône. S’y ajoutent la peur du métissage, la phobie de l’Islam, la méfiance devant les institutions républicaines et laïques. »

Les visées de « reconquête » ou de « quasi croisade » qui « utilisent les jeunes prêtres comme une avant-garde combattante... pour restaurer une Église hiérarchique » sont blâmées par Marc Belhomme. « Les prêtres de Jésus-Christ ne sont pas une force de maintien de l’ordre », ni même un corps d’élite voué à « une sorte de perfection catholique ». L’exemple des Légionnaires du Christ illustre, selon lui, que la quête de l’absolu représente une des pires tentations quand elle se subordonne à des stratégies de pouvoir et fait fi de la condition humaine. Il est persuadé que l’évangile est bien mieux servi par les prêtres « galeux » qui sauvent Dieu en luttant pour sauvegarder la vie des plus vulnérables dans les communautés de base sud-américaines. Loin de constituer une milice de purs, de forts, d’êtres supérieurs, les prêtres sont, comme les autres chrétiens, des hommes ordinaires qui aspirent, dans le sillage du Christ et portés par la grâce, à vivre selon l’évangile : « Tu n’as pas d’armes, dit Marc Belhomme à son correspondant, tu as les mains vides, nues. Tu n’as que l’amour, que la puissance subversive de l’amour. »

Sans désigner de bouc émissaire, Marc Belhomme souligne que le manque de crédibilité de l’Église est avant tout imputable à son incohérence, au gouffre séparant ses actes de ses discours : « Oui, Dieu vous aime. Mais, cependant, sont condamnés : les divorcés remariés, les homosexuels, les femmes qui prennent la pilule, les jeunes et les moins jeunes qui utilisent un préservatif, les couples qui font des bébés éprouvettes et même les jeunes gens qui font l’amour sans être mariés. » Cette incohérence affecte jusqu’à l’image de Dieu, dit-il : « Comment se fait-il qu’un Dieu qui aime les humains ne comprenne pas du tout, je dis bien, pas du tout, leurs façons de s’aimer ?... C’est nous, hommes d’Église qui ne comprenons pas Dieu. » Et Marc Belhomme d’en conclure : « (Les gens) ne nous font pas confiance. Ils nous trouvent incohérents. Incohérents ou stupides ou menteurs... Soit nous mentons sur Dieu..., soit nous trahissons ce Dieu quand nous énonçons en son nom des lois et des jugements qui condamnent la façon de vivre de la plupart de nos contemporains. »

L’évangile, tout simplement

Pour Marc Belhomme, l’évangile a dépassé l’archaïque clivage établi entre le sacré et le profane, fondement habituel des religions et du sacerdoce que caractérisent la séparation et la pureté rituelle : « Notre Dieu n’est pas sacré, c’est d’ailleurs ce qui le différencie des divinités ordinaires. » Rien, à proprement parler, n’est sacré pour les chrétiens. Et cependant, la création entière est à considérer comme sacrée en étant appelée à manifester en toutes choses la sainteté de Dieu, l’amour qui est à l’origine de tout et qui mène tout vers son ultime accomplissement : « Au contraire du sacré qui sépare, qui met à part, la sainteté se communique et nous unit à Dieu. » Il s’en suit que le prêtre chrétien n’est pas une sorte d’« intouchable » qui serait « étranger aux préoccupations ordinaires et légitimes des humains » : il est un homme parmi les hommes, prêtre pour eux, et non pour Dieu (3). Aussi doit-il être attentif à la connaissance spontanée que le cœur humain a de Dieu, parfois supérieure aux prétentions de la religion : « Les gens ont une intelligence “naturelle” de Dieu et ce sens intime qu’ils ont de ce qui est juste et bon se heurte à la complexité de nos explications et au tranchant de nos condamnations. » La religion est à repenser en fonction de l’homme créé par Dieu et habité par lui, sans hypothèque idéologique relevant de la sacralité primitive.

Les réflexions de Marc Belhomme concernant la devise choisie par son correspondant, « Dieu premier servi », méritent d’être intégralement reproduites ici : « C’est une belle devise, mais cela ne signifie pas que Dieu passe avant les hommes... Cela signifie que Dieu (et donc le service des hommes) passe avant l’argent, la puissance, les honneurs, l’amour-propre, le désir de possession et aussi notre envie de nous distraire. Cela signifie que rien, absolument rien, ne passe avant l’humain. Notre obéissance à Dieu, au Dieu fait homme, nous impose de toujours choisir la réalité de la vie des hommes et des femmes, de toujours choisir cette épaisse et visqueuse pâte humaine, contre notre amour idolâtrique des absolus. Jamais une idée ne vaut plus cher qu’un homme, une femme, parce que c’est pour cet homme, pour cette femme que le Christ donne sa vie. Choisir de défendre une idée, une théorie, une théologie, plutôt que les hommes ou les femmes réels et vivants, c’est “recrucifier” le Christ. »

Pour parler de son Dieu, Jésus n’a pas dispensé de connaissances doctrinales ou édicté de règles morales complexes comme les docteurs de la Loi, les scribes et les pharisiens. Y a-t-il plus simple que son évangile ? S’il est vrai que les disciples ne sont pas plus grands que leur maître, il leur faut s’inscrire dans le sillage du prophète de Nazareth sans vouloir expliquer l’inexplicable, ni vouloir plier terre et ciel à leurs théories : « Les grands systèmes d’explication du monde, philosophiques, politiques ou religieux, sont tenus en échec », dit Marc Belhomme, quitte à relativiser la religion. La foi n’est pas déterminée par des savoirs religieux, mais par la confiance que chacun place en la vie : « Serions-nous les plus grands théologiens, nous ne serions pas plus avancés, nous risquerions d’être comme ces savants dont parle Jésus, et à qui les choses, les vraies choses demeurent cachées. La question n’est d’ailleurs pas de croire ceci ou cela à propos de Dieu, mais de croire Dieu. De croire sa parole, sa promesse, son amour, de croire qu’il nous veut du bien. »

Célébrer le Dieu qui s’est fait homme et qui s’identifie aux humbles n’est pas plus compliqué. Il suffit d’un peu de pain et de vin à partager simplement pour fêter et actualiser l’amour qui s’est accompli sur le Golgotha, cet amour qui a vaincu la mort et qui continue d’irriguer la vie. Les dignitaires qui se donnent en spectacle en s’arrogeant la fonction d’intermédiaires exclusifs entre Dieu et les hommes trahissent l’évangile. Dieu ne demande pas à être loué, dit Marc Belhomme : « Nous ne célébrons d’ailleurs pas un culte à un Dieu, nous célébrons une alliance. Nous ne sommes pas des fonctionnaires de Dieu, et encore moins des employés de la multinationale romaine... Nous sommes les serviteurs d’un peuple auquel nous sommes envoyés. » La prière n’a pas à flatter un monarque narcissique, mais à féconder une relation : « Nos dévotions, nos piétés ne sont ni utiles ni nécessaires à Dieu. Sa gloire n’en a nul besoin.... L’œuvre de prière, c’est d’ouvrir nos cœurs et nos esprits à l’accueil de la bonté et de la sollicitude de Dieu... La prière est faite pour l’homme et non pour Dieu. »

Somme toute, le Christ dont témoigne Marc Belhomme se situe aux antipodes du glorieux Christ-Roi que l’Église a voulu faire régner sur le monde, et que le mouvement Regnum Christi des Légionnaires du Christ continue d’exalter : « Le Dieu dont le visage est révélé par Jésus n’est pas le Dieu des victoires, le Seigneur Sabbaoth. C’est le Dieu qui est défait, nu sur la croix, exposé à l’outrage. Ce Dieu-là ne se bat pas avec des légions d’anges, pas même avec l’épée de Pierre, il se bat avec sa peau offerte, son sang versé, son flanc transpercé. Ce Dieu-là ne fait pas bonne figure... La croix : c’est là que Jésus le Christ est vrai Dieu, né du vrai Dieu... Victoire de la faiblesse... » Mais, sans se replier dans le dolorisme qu’affectionne la religion, cette foi est chemin de libération : « Le Christ, cloué au bois de la croix est un homme libre et c’est dans sa liberté que nous sommes sauvés. Nous sommes libérés des entraves du mal et du péché. Et cette liberté souveraine, nous en voyons le triomphe au matin de Pâques... Et c’est au corps du Christ que nous communions et c’est sa vie divine que nous recevons. »

Sacerdoce universel au service du monde

L’évangile enseigne l’humilité et la tolérance : « Personne, absolument personne, ni pape, ni théologien, ni philosophe, ne peut brandir la Vérité armée de son grand “V”. » Pour solide que puisse être la foi, elle ne sera jamais arrogante, écrit Marc Belhomme : « Il n’y a pas de certitudes si l’on est véritablement chrétien. Jésus est maître d’intranquillité... Il nous faut accepter de n’avoir comme réponse que des balbutiements... et notre vie. » Qu’il soit impossible d’expliquer le mal importe peu, il suffit de le combattre en se fiant à la vie : « Cette création n’est pas un chaos abandonné. Elle a, depuis la parole initiale, un sens. Nous confessons que le monde vient de Dieu et va à Dieu. Quant au mal, nous ne pouvons pas en dire grand-chose. Nous savons que nous avons part avec le mal... Mais nous savons aussi... que Dieu éprouve et combat le mal. C’est un combat que Dieu mène avec nous... La bataille qui est en train d’être menée est d’ores et déjà gagnée. » Le Christ dépassant le christianisme, tous les hommes de bonne volonté sont conviés à y participer.

Privilégiant la bienveillance, Marc Belhomme se veut accueillant sans réserve et ne condamne personne : « On ne peut pas juger “simplement”, parce que le vie est compliquée, dit-il. Chaque situation est unique, chaque personne est unique. La caractéristique de l’humaine condition, c’est la complexité. » La culture catholique est plurielle, ouverte à toutes les sensibilités, « capable de recueillir en son sein et de reconnaître comme son héritage aussi bien l’austérité cistercienne que les folies baroques romaines ou bavaroises, et aussi le kitsch rococo d’Amérique latine ou des Philippines. » Mais ce n’est pas pour autant que toutes les pratiques sont acceptables. La vocation des chrétiens étant de « changer le monde » en se référant à l’idéal évangélique, les mensonges, les abus de pouvoir et les trahisons doivent être d’autant plus vivement stigmatisés et combattus qu’ils émanent d’instances investies de responsabilités au sein de l’Église ou de la société : « Si Jésus a parfois des paroles dures, ce n’est jamais à l’égard de ceux qui sont considérés comme des “pécheurs”, mais plutôt contre ceux qui détiennent l’autorité qui les condamne. »

Nul ne peut dire ce que sera le christianisme de demain. Libre comme le vent, l’esprit créateur souffle où il veut sans craindre de bousculer les vieux décors, les « professionnels du religieux », et « le fonctionnement de l’administration vaticane qui est très bureaucratique, centralisé et autoritaire »... Marc Belhomme rappelle qu’il « ne faut pas confondre la Tradition, cette grande ligne de force qui, de génération en génération, a fait résonner l’Évangile jusqu’à nous, et les petites (ou même les grandes) habitudes, bonnes ou mauvaises, qui sont le propre de toutes les familles et de toutes les organisations. » La Tradition est le sillon laissé par les croyants du passé, mais ne constitue pas un carcan. À chaque génération de réinventer la foi dans la fidélité à la Parole reçue : « La Tradition est un livre ouvert, jamais achevé où chaque génération écrit sa page, ajoute son chapitre. » En réalité, les perspectives esquissées dans ce livre portent au delà de la prêtrise imposée par un catholicisme romain sourcilleux et pusillanime (4). Que le culte « en esprit et en vérité » chasse les idolâtries pour que le sacerdoce évangélique se révèle comme un sacerdoce universel au service du monde !

Jean-Marie Kohler

Notes


(1) Pourquoi donc, en tête du livre, ce texte complaisamment signé « Monseigneur Jean-Michel di Falco Léandri, Évêque de Gap et d’Embrun » ? Fallait-il, pour tenter d’être entendu du clergé traditionaliste, une caution épiscopale émanant de cette personnalité bien en cour à Rome comme dans l’épiscopat français et dans les milieux mondains ? En dépit de quelques concessions, le prélat préfacier pratique la langue de bois que réclament ses fonctions officielles. Le pseudonyme Paoli De Pietro rappelant son propre nom, il se défend d’être lui-même le Belhomme auteur de ces lettres, évite soigneusement de prendre position sur le fond, et appelle de ses vœux des contradicteurs capables de pondérer la portée de l’écrit qu’il préface... Le clergé traditionaliste appréciera d’autant plus ces ambiguïtés qu’il sait combien rares sont les évêques disposés à adhérer publiquement aux vues de leur confrère imaginaire Marc Belhomme. Quant aux lecteurs désireux d’une parole claire et engagée de l’Église, ils ne peuvent être que déçus par la légèreté évasive des propos qui leur sont servis dans cette préface. Manque d’humour ! leur sera-t-il peut-être rétorqué...


(2)
L’épigraphe qui ouvre le livre interroge d’entrée la religion qui se réclame de l’évangile: « Vous pouvez rigoler, chers frères, ce ne sont pas les communistes ni les sacrilèges qui ont mis le Seigneur en croix. Ça ne vous frappe pas que le bon Dieu ait réservé ses malédictions les plus dures à des personnages très bien vus, exacts aux offices, observateurs rigoureux du jeûne, et beaucoup plus instruits de leur religion – sans reproche – que la plupart des paroissiens d’aujourd’hui ? » Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune.


(3)
Marc Belhomme explique comment le célibat sacerdotal s’est imposé pour des raisons surtout pratiques après un millénaire de christianisme, et comment il a ensuite fait l’objet d’un surinvestissement spirituel sous le signe du don total de soi et de la pureté rituelle. Mais « la vraie question, selon lui, c’est de savoir comment nous faisons pour porter notre célibat comme une fécondité et non comme une stérilité ». Le problème du contrôle de la sexualité à des fins de pouvoir n’est pas évoqué dans cette correspondance.


(4)
L’épilogue du livre laisse dubitatif : les séminaires ne semblent guère être, dans leur forme actuelle, en mesure de recevoir et de transmettre le message de Marc Belhomme.

 

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