Traditions et perspectives théologiques
   
 

 

 


 
In memoriam
Jean Capron (1929-2014),

in Journal des africanistes 84 (2), 2014 : 286-292

C’est d’abord en tant que spécialiste des populations bwa du Mali et du Burkina Faso que Jean Capron s’est fait un nom parmi les africanistes, et plus précisément en décrivant et en conceptualisant un modèle d’organisation politique inédit fondé sur ce qu’il a appelé le « pouvoir villageois ». En marge de ce travail, il s’est entre autres intéressé aux structures et à l’idéologie sociopolitiques de la société mossi qui se situent aux antipodes du système social des Bwa, contribuant à mettre en évidence le rôle majeur joué par la polygamie dans les rapports de pouvoir au sein de cette ethnie. Chercheur de terrain et passionné par l’élucidation théorique, il a développé une anthropologie à la fois économique, politique et culturelle.

Dans le prolongement de ses travaux ethnologiques, Jean Capron s’est toujours soucié du devenir des populations parmi lesquelles il travaillait. Il s’est impliqué dans de nombreuses études dites de développement, avec une attention particulière pour les facteurs politiques commandés par l’environnement marchand post ou néocolonial. Il a notamment participé à la vaste enquête interdisciplinaire sur les migrations des Mossi et des Bissa menée dans les années 70 par l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM, devenu l’IRD). Enfin, le chercheur se doublait d’un enseignant qui a eu à cœur de partager son savoir et sa passion pour le travail scientifique en exerçant dans plusieurs universités en Afrique et en France. Il y a laissé le souvenir d’un professeur aussi exigeant que bienveillant – « Capron, il nous a hachés menu », disaient ses étudiants burkinabè.

Débutée en 1955 à la faveur d’une bourse de deux ans de l’International African Institute (IAI, Londres) et poursuivie au long de trois décennies, l’étude des Bwa a, pour l’essentiel, été menée dans le cadre du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Elle a conduit, sous la direction de Georges Balandier, à un brillant doctorat d’État soutenu en 1988 à la Sorbonne - Le pouvoir villageois : essai sur le système politique des populations bwa. De 1972 à 1976, Jean Capron a été mis à la disposition de l’ORSTOM pour les travaux sur les migrations. Puis, détaché au ministère de la Coopération, il a enseigné à l’université de Ouagadougou. En 1981, il a quitté le CNRS pour être rattaché au ministère de l’Éducation nationale et a rejoint l’université de Tours. En 1989, il a de nouveau été détaché au ministère de la Coopération pour enseigner à l’université de Niamey. Un parcours multiple marqué par la production de nombreux travaux – articles, ouvrages et littérature grise portant sur des champs thématiques et géographiques variés.

C’est au fil de minutieuses observations de terrain que Jean Capron a étayé pas à pas son modèle d’ordre supralignager qui rend compte de la formation villageoise bwa. Ses premières recherches, consacrées aux changements liés à l’impact colonial, lui ont d’emblée révélé l’importance primordiale des rapports de voisinage. Déterminés par les valeurs communautaires héritées de l’époque précoloniale, ils surplombent les rapports de parenté régissant les sociétés lignagères et transcendent l’ensemble des pratiques économiques, matrimoniales, juridiques et religieuses. L’intégration communale est principalement assurée par les classes d’âge et les échanges festifs communiels sous l’égide d’une riche idéologie véhiculée par des mythes et des poèmes. Chaque communauté bwa a son identité particulière, mais toutes présentent la caractéristique commune d’exercer collectivement une souveraineté foncière et politique au niveau de leurs terroirs-territoires respectifs, et d’être reconnues à ce titre par l’extérieur.

Il me plaît de rappeler ici qu’après m’avoir accompagné sur mon premier terrain en 1964 dans l’Ouest-Mossi, Jean Capron m’a beaucoup aidé à ouvrir ma sociologie sur les problématiques ethnologiques. En 1974, la lourde enquête socio-économique sur les migrations pilotée par l’ORSTOM nous a donné l’occasion de travailler ensemble pendant deux ans. Si la méthodologie imposée pour cette étude s’est soldée par des résultats quantitatifs assez décevants, la problématique Migrations de travail et pratique matrimoniale s’est révélée féconde au plan anthropologique. Nous avons montré comment la féodalité mossi domine le pouvoir lignager en utilisant à son profit le système pug-siure de capitalisation des femmes par les aînés (redistribution de femmes reçues à titre gracieux). Et comment l’accès aux femmes et l’évolution des pratiques matrimoniales influent sur le devenir de cette société confrontée à une coûteuse ponction de main-d’œuvre exercée par les pays de la Côte.

Rigoureux dans ses analyses scientifiques, Jean Capron s’amusait volontiers à se montrer partial en faveur de ses Bwa. Il les aimait tellement qu’il ne pouvait pas s’empêcher de les préférer aux Mossi… Tandis que les premiers étaient à ses yeux des gens libres et heureux, cultivateurs accomplis et bons vivants, il lui arrivait de dire que les seconds menaient une vie soumise et compliquée en courant après des chimères ! La prédilection traditionnelle des Mossi pour le pouvoir et le prestige l’intéressait au plan intellectuel, mais elle le rebutait au plan personnel. Si les villages, les terroirs, les mythes du pays bwa l’ont tant fasciné, c’est que l’art de vivre de ses élus recoupait peut-être certains de ses propres idéaux…

Ce survol de la vie professionnelle de Jean Capron appelle une évocation de son éthique privée. Attaché à sa famille qui l’a accompagné au fil de ses affectations, fidèle à ses amis de toujours et de partout, d’une rare exigence dans ses engagements, l’humaniste qu’il était privilégiait le vrai et le bien sans trop se préoccuper de ses propres intérêts. Son refus des compromis a parfois entravé sa carrière, mais il n’en avait cure. D’une authentique modestie, il affectionnait l’humour, et son autodérision le tenait à l’abri des rancœurs. Proche des humbles, il affichait une souveraine liberté avec les grands, sans jamais se prendre au sérieux. Tenant table ouverte sous tous les cieux, Jean et Renée Capron ont accueilli chez eux les visiteurs les plus inattendus avec la même attention pour les soucis quotidiens que pour les idées brillantes, et chacun se souvient – comme d’un rite célébrant les échanges – des bons repas préparés par Renée.

Jean-Marie Kohler

--> Bibliographie sélective de Jean Capron

 
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