Traditions et perspectives théologiques
   
 
 
 


 
Points de vue

Manager l'Église ?
Espoirs et illusions autour de l'efficacité

Le sympathique article de Patricia Rohner-Hégé qui présente le nouveau secrétaire de l'Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine (Uépal) s'intitule « Réfléchir, calculer (en gras dans le texte), entreprendre » (Le Messager n° 25). Un entretien et des commentaires porteurs d'un optimisme bienvenu dans la morosité ambiante. Alain Ledoux y place sa mission sous le double signe de la transversalité et de la prospective, la première étant définie comme « l'art de coordonner les projets et de faire circuler les bonnes idées », et la seconde consistant « tout simplement à réfléchir à une stratégie d'Église pour reprendre contact avec ceux qu'on appelle les distanciés ». L'article précise que la catégorie ainsi nommée se compose de « ceux qui se sont éloignés des paroisses parce qu'ils sont dans une phase de leur vie où la spiritualité n'est pas leur priorité, ou encore parce qu'ils ont une image de l'Église un peu datée qui ne correspond pas à ce qu'elle est aujourd'hui » - ouailles buissonnières à ramener au bercail.

Au détour des indications portant sur la vocation ecclésiale d'Alain Ledoux, sur sa formation dans une école supérieure de commerce, et sur sa riche expérience en entreprise, le lecteur apprend que « les méthodes de management et de ressources humaines (pratiquées dans le monde de la production et des affaires) ne sont pas en contradiction avec l'humain, bien au contraire ». Dès lors ne sera-t-il pas trop étonné du fait que la responsabilité du secrétariat général de l'Uépal soit désormais confiée à un manager chevronné qui, d'une part, s'impose « de prendre le temps de s'asseoir, de réfléchir et de calculer, avant de construire une tour », et qui, d'autre part, se montre « rapidement opérationnel sur un certain nombre de chantiers (...), travaillant d'arrache-pied à coordonner le premier Protes' Temps forts qui aura lieu autour du dimanche de la Réformation ». Une collaboration qui s'annonce aussi précieuse qu'elle est inhabituelle dans un milieu ecclésiastique qui se réclame plus volontiers de l'inspiration que du management, et qui est surtout dominé par le verbe.

Bien que les stratégies de management qui mènent notre société véhiculent de graves ambiguïtés, voire pire, on ne peut pas exclure a priori que certaines d'entre elles puissent, mises au service de l'Évangile, s'avérer de quelque utilité. Pourquoi bouder le progrès et ne pas faire bénéficier l'Église des techniques de gestion modernes qui se révèlent efficaces pour la conduite des relations dans la société profane ? L'Église n'étant pas directement dirigée par le Saint-Esprit en toutes choses - loin s'en faut -, peut-être doit-elle avoir la modestie d'emprunter à cette société les idées innovantes susceptibles d'améliorer le fonctionnement des institutions. Mais que ces considérations ne fassent pas oublier que les logiques évangéliques et les logiques mondaines ne se recoupent guère, et qu'elles sont plutôt opposées assez souvent. De fait, l'efficacité des techniques de communication et de management n'est de toute évidence pas en mesure de remédier aux maux qui minent l'Église de l'intérieur, ni à la nécessité de repenser les modalités de la foi et de la présence de l'Église dans le monde contemporain. Les stratégies de reconquête et de visibilité mentionnées dans l'article du Messager ne s'identifient pas aux exigences évangéliques les plus urgentes.

Il y a certes des « distanciés » pour qui la spiritualité a cessé d'être une priorité, ou qui ont une image de l'Église ne correspondant pas à ce que celle-ci veut être aujourd'hui. Mais il y a infiniment plus de fidèles qui se sont éloignés de l'Église pour des raisons exactement inverses. À savoir, parce qu'ils ne trouvent plus au sein des communautés paroissiales le souffle et l'action prophétiques de Jésus de Nazareth, et parce qu'ils voient l'Église telle qu'elle apparaît effectivement au monde qui nous entoure, datée et encombrée de problèmes internes très accessoires... Face à cela, aucune initiative organisationnelle ou médiatique, aucune stratégie de consolidation, de restauration ou de visibilité ne peut se substituer à l'impératif d'une lucidité et d'un engagement sans concessions dans le sillage de l'Évangile. Les capacités générées par la foi, le dévouement et les compétences individuelles du plus performant des managers, aussi exceptionnelles soient-elles, n'y changeront rien. C'est l'institution tout entière qui doit se remettre radicalement en question en vue de se réformer : qui doit renoncer à la part de son héritage qui l'alourdit et la pétrifie pour être en mesure d'inventer des formes inédites du service des hommes et de Dieu.

Si l'espérance ne s'accompagne pas du travail et des engagements qui lui permettront de fleurir et de porter ses fruits, elle n'est que verbiage et tromperie. Pour enrayer le délitement du christianisme, pour rendre de nouveau crédibles la parole et l'action de l'Église, il ne suffira pas de manager de façon réfléchie, calculée et entreprenante ce qui subsiste des structures du passé. L'Église devra s'interroger sans complaisance sur les contradictions que traduit l'impasse de sa pastorale actuelle, s'employer à imaginer des perspectives théologiques qui soient en rapport avec les souffrances et les aspirations contemporaines, et contribuer réellement à libérer les hommes et notre société des idolâtries et des servitudes qui menacent l'avenir de l'humanité et du monde. Alain Ledoux est donc investi d'une mission des plus difficiles qui dépasse de beaucoup le simple management : il lui faudra surmonter avec inventivité une apathie largement intériorisée, avec le double handicap que représentent le manque de formation théologique et, face au milieu ecclésiastique, l'absence de la légitimité pastorale. Mais l'Esprit souffle où il veut...

Jacqueline Kohler


Note


La tendance à vouloir régler par des aménagements de surface des problèmes de fond est assez commune. Certes nécessaire mais très insuffisant, le grand chantier de restructuration de l'organisation paroissiale entrepris par l'Église catholique relève de la même démarche et débouche sur les mêmes résultats. Certaines échéances peuvent être temporairement repoussées par de telles initiatives, mais les difficultés non résolues continuent à croître en profondeur jusqu'à compromettre l'avenir de l'institution.


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