Traditions et perspectives théologiques
   
 
 
 


 
Empreintes et rencontres
Echos et réflexions en vrac


EMPREINTES ET RENCONTRES



On trouvera sous cette rubrique quelques textes brefs qui disent des choses essentielles en rapport avec la quête qui inspire ce site, empreintes laissées par des croyants disparus. Suivent, en vrac, des notes glanées ça et là qui témoignent concrètement des détours que parcourt parfois la recherche humaniste ou religieuse.

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Paix aux hommes de mauvaise volonté !

Prière anonyme provenant d’un camp de concentration allemand, in Lytta Basset, Le pouvoir de pardonner, Albin Michel, 1999, p. 21.

Paix à tous les hommes de mauvaise volonté ! Que toute vengeance cesse, tout appel au châtiment et à la rétribution… Les crimes ont dépassé toute mesure, tout entendement. Il y a trop de martyrs…

Aussi, ne mesure pas leurs souffrances aux poids de ta justice, Seigneur, et ne laisse pas ces souffrances à la charge des bourreaux pour leur extorquer une terrible facture. Qu’ils soient payés en retour d’une autre manière.

Inscris en faveur des exécuteurs, des délateurs, des traîtres et de tous les hommes de mauvaise volonté le courage, la force spirituelle des autres, leur dignité, leur lutte intérieure constante et leur invincible espérance, le sourire qui étanchait les larmes, leur amour, leurs cœurs brisés qui demeurèrent fermes et confiants face à la mort même, oui, jusqu’aux moments de la plus extrême faiblesse…

Que tout cela soit déposé devant toi, ô Seigneur, pour le pardon des péchés, rançon pour le triomphe de la justice ; que le bien soit compté, et non le mal ! Et que nous restions dans le souvenir de nos ennemis non comme leurs victimes, non comme un cauchemar, non comme des spectres attachés à leurs pas, mais comme des soutiens dans leur combat pour détruire la fureur de leurs passions criminelles. Nous ne leur demandons rien de plus.

Et quand tout cela sera fini, donne-nous de vivre, hommes parmi les hommes, et que la paix revienne sur notre pauvre terre – paix pour les hommes de bonne volonté et pour tous les autres !

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Aider Dieu en nous et dans le cœur des autres

Etty Hillesum, Journal, 11 juillet 1942 in Une vie bouleversée, Le Seuil, 1995, pp. 175-176

Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsion de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous.

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Prière latino-américaine anonyme (d’après Mt 25, 31-46)

Journée des missions du consistoire de l’Église réformée de Mulhouse

J’avais faim, et vous m’avez reproché la démographie galopante des pauvres.

J’étais malade, et vous avez bâti d’imposants hôpitaux auxquels je n’ai pas eu accès.

J’étais nu, et vous avez fabriqué de coûteux vêtements pour ceux qui en avaient déjà.

J’étais sans abri, et vous avez édifié des palais pour vous, et d’inhumaines cités pour moi et les miens.

J’étais injustement emprisonné, et vous avez lutté pour vos droits de privilégiés.

J’avais soif, et vous avez fabriqué du coca-cola pour exploiter ma soif.

J’étais étranger, et vous m’avez rejeté et parqué dans des ghettos.

Oh Seigneur, je suis fatigué et n’en peux plus.
Oh Seigneur, donne-moi quand même la force de transformer le monde !

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Prière anonyme : les réponses inattendues de Dieu

Le Messager n° 40, sept.-oct. 2008

Je demandais la force, afin de pouvoir accomplir ma tâche ;
je reçus la faiblesse, afin d’apprendre à obéir.

Je demandais la santé, afin de faire des choses plus grandes ;
je reçus l’infirmité, afin de faire des choses meilleures.

Je demandais la richesse, afin d’être heureux ;
je reçus la pauvreté, afin d’être sage.

Je demandais la puissance, afin d’avoir la louange des hommes ;
je reçus l’impuissance, afin de sentir le besoin de Dieu.

Je demandais toutes choses, afin de jouir de la vie :
je reçus la vie, afin de jouir de toutes choses.

Je ne reçus rien de ce que je demandais – mais tout ce que j’espérais ;
presque malgré moi, la prière de mon cœur a été exaucée.

Je suis béni plus que tous les hommes.

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ÉCHOS ET RÉFLEXIONS EN VRAC

À propos du Juif Jésus

Voir : Salomon Malka, Jésus rendu aux siens. Enquête en Israël sur une énigme de vingt siècles, Paris, Albin Michel ; ainsi que le passionnant dossier intitulé : Qui a tué Jésus ? in Yerushalaïm n°48 (2007-2), notamment la contribution de Hillel Halkin.

Il est heureux que soient aujourd'hui vulgarisés les excellents travaux, notamment exégétiques et théologiques, qui dénoncent l'aberrante et meurtrière accusation de déicide formulée jusqu'à récemment contre les Juifs par le christianisme. Ce n'est que justice que les chrétiens commencent à reconnaître que Jésus de Nazareth a d'abord été un fils d'Israël, né juif et mort juif, et d'admettre qu'il soit enfin rendu aux siens selon l'expression de Salomon Malka. On se félicitera également du fait que certains membres du judaïsme s'interrogent à leur tour, à partir de ce qui s'est passé à Jérusalem avec ce Jésus-là, sur les méfaits des grands prêtres et du sanhédrin qui se sont abusivement servis de la religion en prétendant la servir.

On ajoutera cependant que s'il est vrai que les chrétiens ont indûment accaparé Jésus durant des siècles, il n'est pas moins vrai que le Christ de la théologie chrétienne ne se réduit pas au Juif Jésus livré au procurateur romain Ponce Pilate pour être crucifié sur le Golgotha. Ce Christ, que les chrétiens disent vivant par delà la mort de Jésus de Nazareth, transcende le prophète galiléen et échappe à toute appropriation, qu'elle soit juive ou chrétienne. La dimension christique du christianisme ne se réduit à aucune des formes particulières que cette religion a connues à travers l'histoire, et les valeurs christiques se trouvent largement présentes dans bien d'autres spiritualités ou religions. Cette vision du Juif Jésus devenu le Christ des chrétiens, et le Christ de toute l'humanité selon eux, n'est pas invalidée du simple fait que Hillel Halkin n'y accède pas.

Jean-Marie Kohler

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Pourquoi aller en Abyssinie

Au bord des chutes du Nil Bleu en Abyssinie, interrompant un instant le mitraillage photo qui l'occupe tout entier, un touriste demande avec hauteur à un guide local qu'il suppose analphabète s'il sait depuis quand son peuple est chrétien. L'autochtone lui répond avec assurance : « Depuis trois millénaires, Monsieur ! » Le touriste, professeur d'histoire de son état, ironise : « Bigre ! Mille ans avant Jésus-Christ, me dis-tu ? Rien que ça ? » Il ne comprend pas que son interlocuteur a beaucoup à lui apprendre alors que lui-même ne cherche qu'à embarrasser un indigène...

Le guide savait parfaitement que le roi Ezana s'était converti au christianisme autour de l'année 330 de notre ère. Mais, pour ce croyant façonné par une herméneutique immémoriale, les dates n'avaient de valeur que par l'interprétation donnée aux événements relatés. Jésus représentait pour lui le fruit d'une histoire qui a débuté au IXème siècle de l'ère précédente quand, à la suite de la visite rendue par la reine de Saaba au roi Salomon, le futur empereur Ménélik issu de leur union a rapporté à Aksoum l'arche d'alliance du temple de Jérusalem. À en croire cette tradition, ce transfert devait signifier à toutes les nations de la terre que Dieu substituait le peuple abyssin au peuple hébreu en tant que peuple élu. La grande aventure chrétienne aurait ainsi commencé dans cet empire avec les événements providentiels qui l'ont préparée, bien avant la naissance de Jésus. De fait, les Éthiopiens revendiquent pour eux, intégralement et sans ambages, l'héritage d'Israël et les promesses de son prolongement chrétien. Ils sont convaincus que leur terre, qui a été le berceau de l'humanité, est aussi le lieu béni où se produira l'avènement du royaume universel de la fin des temps. D'après eux, l'empire du négus issu de la reine de Saaba a préfiguré cette destinée ; l'établissement du siège de l'Organisation de l'Unité Africaine à Addis-Abbéba en est un autre signe ; et l'idéologie panafricaine que cultive cette nation annonce son ultime vocation messianique : réunir un jour sous son égide tous les peuples de la planète.

Magistrale leçon donnée par un indigène tenu pour ignare à un touriste trop savant que la chronologie intéressait plus que les mœurs et l'histoire du peuple visité !

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Tourisme sans lendemain ou possibilité d'une rencontre décisive ? Images de l'Abyssinie : des flots sans fin d'hommes et d'animaux sur les routes et les pistes, des villages partout jusqu'au sommet des montagnes, des champs et des pâturages à perte de vue au milieu de paysages somptueux. Une agriculture et un artisanat d'une remarquable ingéniosité. Fabuleuse richesse et convivialité des marchés. Et surtout, fierté d'une histoire incroyable. Des chambres funéraires d'Aksoum aux merveilleuses fresques et aux trésors des monastères et des églises, trois millénaires de grandeur et d'épreuves. Christianisme et islam, empires et guerres, gloire et misère, sans parler des sanglantes utopies révolutionnaires et des convulsions modernes. Non pas un passé pétrifié, mais des souvenirs toujours vivants jusque dans les demeures les plus humbles. Entre la vie de ce peuple et les préoccupations dérisoires de la plupart des touristes, un immense fossé qu'aucun cadeau ou sourire ne saurait combler. Une insolite soirée au Sheraton d'Addis-Abeba a clos le voyage et renvoyé chacun dans son camp. Insoutenable confrontation entre le luxe insolent des étrangers et des nantis locaux, et la grande pauvreté de la masse des déshérités. Somme toute, nous n'avons rien vu de ce pays en si peu de temps, à travers les vitres de nos véhicules tout-terrain et les fenêtres de nos hôtels, mais ce rien reflétait toute l'Abyssinie pour qui voulait voir et savait regarder en se dépouillant. C'est là seulement que peut commence un vrai voyage.

Tandis que le tourisme qui prétend faire le tour des hommes et des choses n'est que vanité et perd ceux qui s'y adonnent, le choix d'une sédentarité de principe est pareillement funeste. Beaucoup collectionnent les voyages comme les photos qu'ils en rapportent, de façon obsessionnelle. Aux antipodes, certains refusent de voyager pour ne pas sacrifier au tourisme marchandisé et se figent dans une immobilité également obsessionnelle. Mais ni les échanges culturels et ni la solidarité avec les démunis ne peuvent être servis de la sorte : la frénésie du collectionneur et la vertu solitaire s'avèrent pareillement stériles. Aller à la rencontre d'autrui est d'une autre nature, mais cela implique toujours de sacrifier une part de soi-même en rapport avec l'essentiel. Voyager n'est une activité féconde que pour celui qui, mû par un désir qui le dépasse, sait renoncer à ses vues habituelles et à l'agencement confortable de son propre univers pour découvrir d'autres mondes. Incontournable est le dépouillement pour qui s'engage sur ces chemins : accepter de quitter sa demeure sans idée d'accaparer quoi que ce soit dans celle qui vous reçoit, pas même la moindre photo qui signifierait une mainmise, et s'en remettre aux autres sans arrière-pensée ni réserve. Seul le voyage qui déplace et refaçonne le cœur et l'esprit peut introduire dans l'univers toujours étrange des étrangers, et peut y nouer des relations inédites qui grandissent l'homme et contribuent à accomplir l'humanité.

Jean-Marie Kohler

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Pour de justes relations avec les bêtes

L'espace, l'eau et l'énergie requis sur la planète pour élever les animaux dont se repaissent les nations riches et les nantis des pays pauvres hypothèquent lourdement la production agricole de base nécessaire pour parer à la sous-alimentation qui affecte une proportion croissante de l'humanité. Ayant longtemps vécu parmi des populations pauvres en Afrique et dans le Pacifique, je sais que l'homme peut subsister sans viande ou avec fort peu de cette denrée. Aussi ne suis-je nullement effrayé par la perspective que vous évoquez d'une réduction drastique de l'alimentation carnée en vue d'un équilibre écologique durable. La détérioration du rapport entre les ressources disponibles et l'évolution démographique mondiale l'impose de toute évidence si l'on veut éviter les famines et les guerres. Et aux considérations relatives à la justice et à la paix entre les hommes s'ajoutent les impératifs d'une éthique du respect de la vie et de la nature qui condamne l'exploitation à outrance du monde animal pratiquée actuellement.

Ceci étant, je me méfie de l'angélisme et ne souscris pas à l'intégrisme écolo-végétarien qui préside aux positions que vous défendez. Tant qu'elle ne met pas en danger l'équilibre naturel, l'exploitation des ressources du règne animal par l'homme s'inscrit, me semble-t-il, dans le système global de reproduction de la vie sur notre planète et n'est pas répréhensible. La grandeur de l'homme réside certes dans son humanité qui le constitue gardien de la nature en même temps que de ses semblables, mais cette humanité ne peut s'épanouir qu'en acceptant en toute modestie la condition commune qui est de fait la nôtre sur cette terre. Il ne suffit pas de nier la violence pour l'extirper de la nature dont elle constitue un facteur inhérent et majeur ; il nous revient seulement d'essayer de la limiter autant que possible. Se soucier du bien-être des animaux est un devoir qui ne souffre aucune exception, c'est certain, mais cette préoccupation ne l'emporte pas sur l'attention due aux hommes et ne commande pas de s'abstenir absolument de recourir au concours des animaux pour subvenir aux besoins de l'humanité.

Élevant moi-même toutes sortes de bêtes que nos enfants ont amenés dans notre ferme et qui se reproduisent depuis lors, il m'est particulièrement pénible de devoir en supprimer certaines quand elles deviennent trop nombreuses ou souffrent de manière irrémédiable. Mais que faire des chevrettes en surnombre, et surtout des jeunes boucs en compétition entre eux et avec leurs géniteurs ? Que faire des bêtes irréversiblement malades, ou des chèvres affaiblies par l'âge que le reste du troupeau isole et brutalise ? Que faire des volailles et des lapins quand la place vient à manquer ? Ne vaut-il pas mieux tuer les pigeonneaux trop nombreux dans le pigeonnier plutôt que de les laisser à la merci de leurs congénères qui les scalpent avec application avant de les massacrer ? Ne s'impose-t-il pas de détruire la ruche atteinte d'une maladie incurable avant qu'elle ne contamine les ruches voisines et celles des environs ? Et, de façon plus générale, ne vaut-il pas mieux sacrifier, pour manger ou donner à manger autour de soi, une partie des bêtes qu'on a élevées avec respect et affection, plutôt que d'attendre le moment de les enterrer ou d'être obligé de les livrer à l'équarrissage ?

Sans doute me sera-t-il répondu que, pour échapper à ces questions délicates, il suffit de renoncer à élever des bêtes. Soit ! cela me libérerait de lourdes et coûteuses contraintes et ne priverait pas grand monde des quelques lapins et chevreaux qu'à l'occasion je distribue. Si ma famille mange les œufs, le fromage et le miel produits sur la ferme, la proximité affective avec les bêtes est telle que notre cheptel ne garnit plus nos assiettes depuis longtemps, et je peux me procurer l'équivalent ailleurs à meilleur prix. Le renoncement à cet élevage semble donc s'imposer d'autant plus que le temps et l'argent ainsi économisés pourraient être utilement employés au profit d'hommes et de femmes dans le besoin. Mais, par delà l'apparente absurdité des contradictions où je me trouve et par delà la pertinence de ce raisonnement, ne convient-il pas de prendre également en compte d'autres raisons, comme l'importance de maintenir gratuitement des relations avec les bêtes dans un monde marchandisé qui ne connaît plus que le profit ? Et d'enseigner cela aux enfants et aux petits-enfants ? Les gens qui savent encore parler avec les bêtes et les plantes se font rares...

Je pourrais évoquer ici les attitudes à la fois contemplatives et très pragmatiques que j'ai pu observer dans diverses sociétés primitives à l'égard du monde animal. Mais sommes-nous encore capables d'entendre les leçons qui nous viennent de là ? Le pêcheur de l'Océanie trie chaque soir le poisson qu'il ramène sur la plage dans son épervier, remettant à la mer tout ce qui excède la part attendue par sa famille, et c'est avec joie et reconnaissance qu'il partage avec les siens ce que la nature qu'il aime et soigne lui octroie pour vivre. Le bonheur qui se lit dans le regard que le Peuhl porte sur son troupeau en Afrique n'a aucun rapport avec la jouissance que procure l'accaparement ou la domination, mais il exprime une forme de convivialité universelle avec la création qui ne l'empêche nullement de boire le lait de ses vaches ni de sacrifier une de ses bêtes à l'occasion. Et ne trouvait-on pas à l'hôpital du Dr Schweitzer à Lambaréné des animaux blessés ou malades amenés par les indigènes pour y être soignés en même temps que les parents qu'ils y accompagnaient ? S'il est vrai, dans un tout autre contexte, que les excès du marché des aliments destinés aux animaux dans les pays riches sont à bien des égards scandaleux, cela ne condamne pas l'attachement aux bêtes qui est assez souvent la dernière consolation des plus pauvres.

Jean-Marie Kohler

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Douteuse mise en scène du chemin de croix

... et après le Cardinal Jean-Marie Lustiger,
ça continue avec le Cardinal André Armand Vingt-Trois !

 


Lettre au cardinal Jean-Marie Lustiger (27 avril 1992)

Monsieur le Cardinal,

J’ai longuement hésité avant de vous adresser ces lignes, car je sais que beaucoup de gens sont friands de religiosité médiatique et je crains de vous blesser. Pourtant...

Il me faut vous dire que la scène figurant sur la photo ci-jointe (port de la croix à Montmartre le vendredi saint) me semble plus de nature à nuire à la crédibilité de la Parole et de l’Église qu’à la servir. Le mystère de la passion de Jésus-Christ ne supporte pas l’imitation, et sa liturgie ne devrait être célébrée qu’à travers des expressions symboliques qui en respectent la transcendance et l’universalité.

Croyez, Monsieur le Cardinal, que je partage votre souci concernant l’annonce de l’Évangile aux hommes d’aujourd’hui, et acceptez l’expression de mes sentiments les meilleurs,

Jean-Marie Kohler


Réponse du secrétaire particulier du Cardinal (4 mai 1992)

Monsieur,

Le Cardinal Lustiger a bien reçu votre lettre du 27 avril et pris connaissance de votre remarque.

Commémorer la Passion du Christ n’est pas parodier le Christ mais prendre conscience de sa misère et du Mystère de la Croix, rédemptrice de nos péchés.

Vous assurant de la prière du Cardinal Lustiger, je vous prie de croire, Monsieur, à mon religieux dévouement.

Père Louis de Romanet
Secrétaire particulier


Lettre au Père Louis de Romanet (26 mai 1992)

Mon Père,

Votre lettre du 4 mai m’est bien parvenue, et je vous en remercie.

J’apprécie votre courtoisie. Mais qu’il est difficile de communiquer avec le clergé ! C’est comme si la religion sécrétait l’ambiguïté alors que cela devrait être l’inverse, et les positions hiérarchiques faussent les relations.

Bien que vous ayez utilisé un mot tout à fait clair, que je n’aurais pas osé employer en l’occurrence, je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens et la portée de votre réponse.

La photographie qui a fait l’objet de ma correspondance peut certes faire penser à une parodie, mais est-ce bien ce que vous avez voulu exprimer ? Sinon, à quoi renvoie votre verbe parodier ?

Enfin, comme nous avons tous besoin des prières que les uns font pour les autres, je remercie le Cardinal d’avoir bien voulu prier pour moi, et je l’assure à mon tour de la prière du modeste laïc que je suis. Ses responsabilités sont tellement plus importantes que les miennes ! Mais, au fond, nous sommes tous égaux devant le Seigneur.

Veuillez croire, mon Père, à mes meilleurs sentiments,

Jean-Marie Kohler

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Correspondance avec un ami évêque

Connaissant tes difficultés et sachant que ma situation n'est guère plus enviable – je ne suis de loin pas à la hauteur des miracles du partage et de l'amour que j'espère –, le constat de mon impuissance face aux changements souhaités pourrait me décourager. Mais ne faut-il pas essayer d'avancer quand même ?

Je comprends ta tristesse devant le désarroi de ton clergé et devant les défections survenues. Oui, pitié pour les prêtres ! La plupart d'entre eux se sont engagés avec enthousiasme dans la voie du sacerdoce, persuadés de suivre le Christ pour porter au monde un message de vérité et de libération, pour aider les hommes à vivre plus humainement en soutenant les humbles et en appelant les grands à servir la justice et la paix. Mais que de désillusions aujourd'hui ! La religion se trouve de plus en plus marginalisée par une sécularisation sans doute irréversible. L'Église n'est plus ce qu'elle a été hier encore, et les rêves de restauration qui la hantent s'avèrent aussi nocifs qu'illusoires. La recherche contemporaine ayant mis en évidence l'incontournable relativité de tous les savoirs, même la foi n'est plus ce qu'elle a été et ne pourra jamais plus retrouver ses formes et son assurance passées. Au plan pratique, s'agissant de la sexualité par exemple et de ses implications sociales, le maintien crispé de positions désormais indéfendables décrédibilisent le magistère et l'institution ecclésiale dans son ensemble. Déchus de leur statut sacerdotal ontologique et des prérogatives s'y rattachant, évincés de la plupart de leurs fonctions sociales, de nombreux prêtres ne savent plus qui ils sont ni ce que le monde attend d'eux. Et la hiérarchie continue cependant à imposer à leurs faibles épaules une charge qui s'avère inhumaine dans le contexte présent.

Et le tableau n'est guère plus réjouissant au niveau des fidèles. Face au délitement qui touche les Églises et les croyances qu'elles véhiculent, beaucoup de croyants se sont découragés et ont fini par déserter le navire désemparé. D'autres continuent à espérer, disent-ils. Mais qu'espèrent-ils au juste ? Que veulent-ils vraiment ? Que ça continue ou que ça change ? L'option la plus communément adoptée, encouragée par la hiérarchie, prône le changement dans la continuité, ou plus précisément une continuité incluant en douceur les changements indispensables à cette continuité... Ce qui en est attendu ? Peu de choses à vrai dire : que le passé se prolonge sans bouleversements majeurs autant que possible, aux plans personnel et collectif. Une espérance sans horizon, qui n'espère plus rien, une attitude de démission que la mort envahit inexorablement. Pour enrayer la dislocation des représentations religieuses et l'effondrement des structures ecclésiales, il ne suffit plus d'affirmer que Dieu intervient aujourd'hui et interviendra demain comme il l'a fait hier, et que l'avenir est entre ses mains. L'occultation de la gravité des problèmes n'a que trop duré et la maison menace ruine ; il s'impose de reconnaître et de relever les défis sans délai.

Au milieu de la débâcle, seul l'évangile n'a pas changé et ne change pas, et la confiance demeure possible : son message de libération reste aussi pertinent qu'au premier jour. Pour entendre cette parole et en entrevoir la portée, le chemin à suivre est toujours le même. Il passe par le combat contre les maux qui défigurent l'homme et par le service des autres. Mais, me diras-tu, l'Église n'a jamais cessé d'enseigner cela ! Certes oui, du haut des mêmes chaires et avec le même langage, mais beaucoup trop loin de la peine et des aspirations communes. Pour revenir à l'évangile, il est clair que l'exégèse, les doctrines, les formations et les exhortations que l'Église affectionne ne sont que des aides qui se transforment en leurres quand l'essentiel est perdu de vue. Il n'existe qu'une voie : aller sans détours vers les hommes là où ils vivent et meurent, partager leurs soucis, leurs joies, leurs labeurs. Les bonnes intentions et les déclarations ne suffisent pas. Au risque de se perdre comme cela est arrivé à un certain Jésus, il faut quitter l'assurance et le confort de la religion établie. Renoncer aux titres grandiloquents, aux mitres, aux crosses et autres insignes de prééminence ne constituerait que le moindre des débuts. De fait, nos contemporains attendent infiniment plus mais, comme tu me l'as dit un jour, il est à craindre qu'on ne s'en aperçoive trop tard. Ce sont des miracles qui sont attendus de ceux qui portent l'espérance de l'évangile, et le don d'en accomplir a été promis à tous les croyants, mais cela a été oublié.

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En réponse à ta dernière lettre, voici encore quelques observations concernant des points particuliers. J'écarterai d'abord ton objection relative aux difficultés de rassembler les modiques moyens financiers requis pour l'apostolat dans la mission lointaine que tu diriges. Pour ma part, j'ai appris que les problèmes d'argent se règlent toujours de la façon la plus avantageuse quand, sans concession à la frilosité, ils sont abordés avec audace dans une optique qui les dépasse. Mais, sans oser l'exprimer, nombre de donateurs se posent une autre question. L'argent collecté est-il vraiment utilisé selon les priorités de l'évangile ? Tu reconnaîtras qu'il n'est pas rare, dans bien des diocèses et même dans le tien peut-être, qu'une part notable des dépenses ne corresponde qu'à des objectifs institutionnels discutables, ne relevant parfois que d'un vil besoin de pouvoir et de prestige quand ce n'est pas de motifs individuels du même ordre. Que de projets organisationnels ou immobiliers et que d'activités de représentation – voyages par avion entre autres – sont d'un coût exorbitant par rapport aux trois sous mendiés par la pauvre vieille dont tu parles, ou par rapport à l'image misérabiliste de la voiture missionnaire à réparer avec des ficelles tous les 10 km ! Que l'argent disponible ne soit pas employé avec plus de discernement s'avère particulièrement regrettable quand il provient des fidèles les plus modestes.

Ensuite, peut-on vraiment opposer, comme tu le fais, le travail sur le terrain et l'effort de réflexion qu'exige, en plus des directives du magistère, une conduite responsable et efficace de ce travail ? Tu as raison de souligner que la navigation à ras de l'eau s'accompagne de lourdes contraintes, trop souvent minimisées par les observateurs qui suivent les bateaux de loin. Moi aussi, j'ai été maintes fois submergé par de grosses vagues dans ma vie familiale comme dans mes engagements sociaux, non sans périls ni sans dommages à l'occasion. Cependant, pour naviguer au long cours, il ne suffit pas de s'en tenir à la gestion des difficultés immédiates du bord, et ceux qui tiennent la barre doivent prendre du recul, anticiper, et assumer les risques que comporte le cap à tenir. Bonne mère ou mère trop prévenante, voire castratrice et marâtre assez souvent, l'Église a tendance à faire croire que le magistère, dépositaire exclusif des Écritures et de la Tradition selon lui, est seul en charge des responsabilités que dessine la carte du ciel. Mais Rome est encore plus loin du terrain que bien d'autres, et le bon sens, l'histoire et la théologie invitent conjointement à ne pas se démettre face au Vatican. Les erreurs et les revirements ont été multiples dans l'Église, et la recherche de la vérité est foncièrement tributaire d'une incarnation qui se poursuit et nous concerne tous. Comme tu le soulignes, l'intendance doit être assurée chaque jour, mais la réflexion critique est d'autant plus indispensable en amont que les problèmes sont complexes.

Enfin, le début de ta lettre me dit que les perspectives théologiques et pastorales esquissées dans mon dernier courrier t'ont paru intéressantes sur divers points, mais pourquoi n'as-tu pas explicité ces points d'accord au même titre que tes réserves ? Aurais-tu pratiqué l'autocensure par crainte de trop en dire avec le risque de déplaire en haut lieu ? Il me paraît évident que le christianisme de demain ne pourra pas se construire à la faveur d'une perpétuelle reproduction des formes idéologiques et institutionnelles passées. La foi doit être repensée et reformulée en se positionnant par rapport à l'évolution des représentations contemporaines et des problèmes du monde d'aujourd'hui. Et surtout, elle doit témoigner par des engagements concrets des exigences qu'elle se plaît à exposer sans relâche dans ses discours, car ceux-ci ne servent à rien en l'absence de tels engagements. Les Églises de l'ancienne chrétienté et celles des missions se trouvent à cet égard au pied du même mur, face aux mêmes exigences tout à fait pratiques : l'évangélisation n'est pas d'abord une affaire de dogme ou de culte, mais une affaire de justice et d'amour pour délivrer l'homme du mal qu'il subit et sauver l'humanité de la mort – ces termes étant à prendre dans leur sens premier avant d'être transposés au plan spirituel. On pourrait dire qu'il y a, en plus des hosties sur l'autel, du pain sur la planche...

Somme toute, je conclurai cette trop longue missive en notant qu'il me paraît profondément injuste que tu me reproches de décourager les pasteurs qui œuvrent sur le terrain au milieu des difficultés – jusqu'à insinuer que je tire à « boulets rouges » sur des malheureux sans défense. Ne s'agit-il pas exactement du contraire ? En réalité, le découragement est là, massivement et depuis longtemps, ne cessant de croître au fil des années. Tu le sais bien, et tu en es toi-même affecté. Mais loin de résulter d'attaques venues de l'extérieur, ce découragement est d'abord la conséquence d'un effondrement intérieur causé par un manque de lucidité et de volonté face aux problèmes que pose le devenir du monde et de l'Église. En diagnostiquant la léthargie dont souffrent les institutions ecclésiales, mon intention n'est pas de les stigmatiser, mais de contribuer à aider l'Église à s'en relever. C'est parce que je crois que l'évangile a soulevé la plus belle et la plus haute espérance, et parce que je continue à croire que l'Église est toujours en charge d'annoncer et d'incarner cette espérance – en collaboration avec d'autres hommes et d'autres communautés qui sont également porteurs de valeurs christiques –, que je persévère dans mes engagements en dépit de bien des incompréhensions. Ceux qui doutent et qui souffrent aujourd'hui de voir l'Église enlisée ne peuvent pas se contenter des propos lénifiants prodigués d'ordinaire.

Fallait-il donc, cher ami évêque, céder à la tentation de te fâcher à propos de l'analyse plutôt modérée que je t'ai envoyée, et réagir comme s'il s'agissait d'une offense sans prendre la mesure de ce qui était réellement en cause ? De nombreux laïcs pourraient pareillement se fâcher quand ceux qui prétendent abusivement être les seuls dépositaires authentiques du christianisme, les dirigeants de l'Église romaine, dénaturent et desservent la foi qui tient autant à cœur aux simples fidèles qu'aux clercs, voire davantage parfois. La dernière grande bonne nouvelle venue de Rome et annoncée par les quotidiens de ce matin, à savoir le projet d'exposer sous verre la dépouille mortelle de Jean-Paul II dans la basilique St Pierre, pourrait aussi susciter de saintes colères... Quoi qu'il en soit, je concède volontiers que cette dépouille appartient au Vatican qui peut l'utiliser à sa guise, mais ce non sans rappeler que le Christ, lui, n'est la propriété de personne et ne se prête à aucune mainmise. Et j'ajouterai que cette histoire de manipulation d'un cadavre est tout compte fait bien futile au regard des famines, des guerres et des grandes tragédies qui menacent aujourd'hui, sans trop émouvoir notre Église dans ses pieuses habitudes, la divine humanité de l'homme et l'avenir de la création...

Un style plus soft aurait certes été préférable pour cette lettre, mais tu as pris l'habitude de pardonner mes propos trop abrupts... Une absolution de plus n'est pas une affaire pour toi et je t'en remercie par avance ! Unis dans une même espérance en dépit de nos divergences qui relèvent de la souveraine liberté des enfants de Dieu..., reçois l'expression de ma fidèle amitié,

Jean-Marie Kohler

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Mon cher pasteur

Je débuterai cette lettre par l'évocation d'un incident plutôt cocasse. Vous ne serez évidemment pas étonné d'apprendre que le fidèle innocent que je suis a été troublé par l'histoire que vous m'avez rapportée de ce digicode qui, à l'entrée d'un immeuble urbain comportant un lieu de culte, a si malencontreusement privé une éminente personnalité de votre Église de louer Dieu comme il se devait un dimanche matin. Car loin d'être dérisoire, cette histoire me semble pleine de signification et de graves enjeux. Que ce professeur de théologie mondialement connu ait oublié le code n'est assurément pas normal, mais que cela l'ait condamné au trottoir l'est moins encore. Et pourtant, il n'y a rien à reprocher au digicode qui a refusé le passage!

Les appartements de nos amis du beau monde disposant tous d'un digicode, pourquoi un lieu de culte situé dans un immeuble privé de bon standing en serait-il dépourvu ? Peut-être conviendrait-il de renoncer à ce verrou électronique le jour du Seigneur, mais je suis persuadé que même le ciel est protégé de la sorte. Ce ne sont là que de sages précautions. Si le lieu de la félicité éternelle était accessible à n'importe qui, les meilleurs de nos chers paroissiens ne voudraient plus s'y rendre par crainte précisément de s'y retrouver avec n'importe qui, et nos propres réticences ne seraient peut-être pas moindres... L'ordre doit régner ici et là-bas, cela n'est guère contestable, car à chacun revient sa place selon le bon vouloir éternel de la divinité. Tout cela n'est qu'affaire d'accès réservé, de copropriété accordée aux élus, de cahier des charges et de règlement, avec le concours de concierges, d'huissiers et de verrous si nécessaire, et il ne suffit pas d'affirmer le contraire ou d'invoquer la gratuité de la grâce divine pour pouvoir entrer par une porte dérobée. Je trouve par conséquent que le régime concordataire devrait prendre en considération le problème des digicodes religieux, et je préconise que le financement de ces précieux appareils soit réclamé à la société civile en contrepartie des irremplaçables services que lui rend l'ordre religieux.

Si, comme vous m'en assurez, Dieu n'a pas été courroucé outre mesure d'avoir été privé d'une part des louanges dominicales qui lui étaient dues et si l'éminent fidèle privé de culte s'est remis de sa mésaventure, cette affaire de digicode a peut-être été moins dramatique que je l'imaginais. Votre longue expérience vous a appris, précisez-vous, que rien n'est vraiment grave, qu'il suffit de gérer la paroisse en bon père de famille en attendant patiemment avec Dieu que les problèmes s'effacent. Le tableau d'affichage à l'entrée du temple n'annonce plus grand-chose, mais cela est moins important que de le garnir d'une vitre blindée pour attester la survie de l'institution. Combien de temps cela pourra-t-il encore durer ? À vrai dire, je suis moins optimiste que vous : le paternalisme des ecclésiastiques n'a plus devant lui les beaux jours que vous lui prêtez, car les fidèles qui le trouvent « normal, rassurant et consolant » selon vos termes se réduisent à vue d'œil. Les prêches dogmatiques ou moralisants fatiguent de plus en plus, et fallacieux se révèlent les discours sur notre belle famille paroissiale composée de fidèles qui s'aiment et s'entraident sous la houlette de votre bienveillante autorité. Personne n'en demande tant : si seulement, au lieu d'être un fonctionnaire gérant des paroissiens, le pasteur pouvait devenir un simple et véritable ami comme nous avons le bonheur d'en connaître par ailleurs !

Avant de terminer, il me faut encore évoquer deux questions qui ont étonné plusieurs de vos fidèles. La discrétion ou la crainte les retiennent de vous en parler directement, mais vous apprécierez certainement d'en être informé.

Votre dernière circulaire destinée à collecter de l'argent pour la paroisse s'achevait sur une mise en garde des plus frappantes à l'adresse des esprits légers ou momentanément distraits. « Quoi qu'il en soit, vous auriez tort, mesdames et messieurs ou chers sœurs et frères, d'oublier que vous aurez tous besoin, tôt ou tard, de la paroisse et de son pasteur... » L'évocation des funérailles est-il devenu le dernier argument à la disposition de l'Église pour remotiver ses ouailles et leur soutirer de l'argent ? Cela me semble non seulement fort déplaisant, mais relève d'une stratégie vouée à suivre les cadavres invoqués en la circonstance. Mieux vaut, dans ce cas, mettre la clef sous le paillasson du temple et laisser nos gens vivre et se faire enterrer sans culte le moment venu ! J'ajouterai que la salutation aux « frères en Christ » concluant la circulaire en question mettait clairement en évidence la fausseté objective dont toute cette prose était tissée. Devenir des amis étant déjà assez difficile, se reconnaître frères l'étant bien davantage encore, il est trop commode de se proclamer « frères en Christ » pour dissimuler l'absence de toute fraternité réelle et se dispenser des efforts requis pour devenir ne serait-ce que des amis. Au diapason de l'environnement médiatique, l'Église se contente de ce qu'on appelle aujourd'hui « la com » pour occulter la léthargie de nos paroisses par des effets d'annonce – reportez-vous aux nouvelles paroissiales figurant dans notre revue mensuelle...

Et j'en viens à cette autre affaire qui a laissé un souvenir amer. En apprenant l'organisation d'un « culte festif d'action de grâces pour le ravalement de la façade du presbytère », j'ai d'abord cru à un canular. Pour fêter l'achèvement de tels travaux, il convenait certes d'inviter à un cocktail l'ensemble des personnes y ayant participé – des paroissiens aux entreprises en passant par les autorités pourvoyeuses de subventions –, mais de là à inviter Dieu lui-même pour le louer de ce haut fait par un culte solennel, n'était-ce pas de trop ? Confiée à un théologien renommé, doyen de Faculté et représentant officiellement les instances dirigeantes des Églises protestantes en l'occurrence, la prédication a été à la hauteur de l'événement : que notre être ne se laisse pas engluer dans le paraître et les biens matériels pour agrémenter ou prolonger ses jours, a-t-il été proclamé en substance, mais qu'il s'en remette à Dieu comme les oiseaux du ciel et les lys des champs... ! Sans faire de rapprochement avec le ravalement ni avec les besoins criants du monde contemporain, l'assemblée s'est émerveillée de ce sermon, puis elle a chanté avec conviction que Dieu prend soin des affamés et s'occupera lui-même des miséreux qui n'ont pas de toit. D'excellente qualité, le crémant et les petits-fours ont été appréciés. Chaque convive a joué son rôle, et le député-maire a promis que la remise en état de l'intérieur du presbytère ne posera pas de problème s'il est réélu comme il se doit. Tous les espoirs semblent donc permis si le ravalement de la façade d'un presbytère ouvre de telles perspectives, à moins que tous les espoirs ne se révèlent définitivement vains quand on en arrive là – hormis celui, explicitement évoqué, de trouver un pasteur pour occuper les lieux après l'achèvement complet de la rénovation.

J'espère en tout cas que ma prochaine lettre sera plus gaie, sans avoir pour autant à taire les problèmes qui nous aveuglent et nous étouffent.

Jean-Marie Kohler

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Du savoir à l'engagement

Ma première passion d'ordre abstrait a été pour le savoir en vue d'accéder à l'intelligence de mon existence et de celle du monde. « D'où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ? » : j'imaginais naïvement que le salut passe par la maîtrise de ce que l'homme peut apprendre sur lui-même, sur les autres et sur l'univers. Et, pour commencer, ma soif d'apprendre m'a conduit à accumuler des savoirs spéculatifs prétendus de valeur universelle.

Portant sur l'essence de la condition humaine et sur les relations entre Dieu et les hommes, les études philosophiques et théologiques entreprises dans l'optique d'un savoir transcendant m'ont appris beaucoup de choses dans un premier temps. Mais la science ainsi engrangée s'est vite révélée limitée et radicalement relative, n'ayant finalement guère plus de valeur que celle des questions qu'elle permet de soulever, car s'apparentant plus à une médiation qu'à un corpus de vérités établies.

Conclusion d'étape : pas de salut possible par le savoir. Renoncement à toute gnose ou voie de rédemption de cette sorte, et acceptation d'un agnosticisme radical à l'égard des idées dogmatiques concernant l'homme et Dieu. Le problème de l'intelligibilité de l'existence est cependant resté primordial pour moi, car c'est à travers elle qu'émergent les questions qui portent l'homme au-delà de son immédiateté, lui permettant de devenir libre et créateur, responsable de sa vie et de celle des autres.

À la primauté des savoirs s'est peu à peu substituée celle de la connaissance qui se nourrit des relations et des engagements vécus. L'action a pris la place laissée vacante par l'idéalisme, et le passage par le particulier m'est apparu comme l'unique voie susceptible de mener à l'universel. D'où un nouveau cursus d'études axé sur l'anthropologie et les problèmes sociaux, le choix d'une profession de terrain, la création d'une famille, etc. Après le rendez-vous manqué avec moi et avec Dieu en privé, j'ai opté pour le commerce des hommes.

Chemin faisant, l'expérience m'a confirmé que l'homme ne vaut pas d'abord par ce qu'il sait, mais par ses engagements au service des autres dans le sillage de la parole qui a créé l'humanité et ne cesse de l'accompagner. Mais cela n'exige-t-il pas de lui, même s'il est athée, d'être croyant d'une certaine façon ? La vie n'a finalement de sens que si l'homme est plus que l'homme, s'il réalise l'humanité en lui. Un constat qui invite à mener une existence qui dépasse l'alter ego assoiffé de toute-puissance qui est notre divinité ordinaire.

Il n'est pas directement question de religion ici. Pourtant, si la fonction essentielle de la religion est de relier les hommes pour sauvegarder la vie, c'est bien de cela qu'il s'agit. Une créativité inédite s'impose alors pour repenser, au cœur de la religion, la foi en l'homme qui ouvre sur l'infini, et pour l'inscrire dans le vécu. La vérité ne se trouve ni dans la sédimentation des vérités anciennes, ni dans les théories nouvelles, mais elle est dans le mouvement que parcourt à travers elles la recherche du vrai et le service d'autrui.

P.S. : Il va sans dire que l'itinéraire relaté ici n'a pas été, en pratique, aussi linéaire et maîtrisé que sa rétrospective peut le suggérer. Le chemin, les carrefours et même l'horizon ne se dessinaient que rarement de façon claire, et l'inquiétude a été une compagne plus fréquente que la félicité. La raison ne suffit pas pour éviter les impasses quand il faut se risquer dans le doute, et même l'intuition peut se tromper. Que de fois a-t-il fallu avancer à tâtons dans la nuit, et reculer de même, en assumant les erreurs et les fautes commises, humainement irréversibles parfois ! Et que d'événements se sont produits de façon tout à fait inattendue, heureux et malheureux ! Mais surtout, il serait illusoire de croire que la route se parcourt seul, de ne pas reconnaître avec gratitude l'aide irremplaçable apportée par les proches et par d'innombrables inconnus.

Jean-Marie Kohler

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Comment allez-vous ?

À vingt ans, je répondais que j'allais mal. Je voyais le monde aller mal, j'en souffrais, et j'étais tourmenté parce que je n'arrivais pas à me situer par rapport à cela. Aujourd'hui, je vois encore le monde aller mal, et même très mal assez communément. J'en souffre toujours autant. Mais l'horizon s'est ouvert, me libérant de l'enfermement : du fond de moi-même, je crois désormais que la vie finira par l'emporter, et qu'il est de ma responsabilité d'y contribuer. Renonçant à la solitude et aux rêves infantiles de toute-puissance qui me hantaient, j'ai peu à peu rencontré les autres, accepté de les reconnaître comme tels, et découvert que je ne peux vivre ma vie qu'en relation avec eux, vulnérable et solidaire, au sein de notre modeste condition commune. J'ai fini par entrevoir la possibilité d'aimer.

Quand je vous réponds que je vais bien maintenant, pourquoi en douter ? De fait, ma vie actuelle est plutôt simple, et il n'y a pas grand-chose à en dire. Je suis heureux de la présence de ceux avec qui je partage mon existence, et il me convient d'être occupé du matin au soir par les tâches que vous savez. Je suis dans l'ensemble satisfait des travaux que j'effectue de mes mains comme de ceux qui requièrent mon esprit, content de mes loisirs, et ce en dépit des limites et des fatigues que ces activités comportent. Je suis sensible à l'infinie beauté de la nature, sans pour autant ignorer son implacable cruauté. Bien sûr que je connais des doutes, des déceptions et des échecs, terribles parfois, relevant de ma responsabilité ou me venant d'ailleurs. Mais c'est sans amertume que j'assume ce quotidien tel qu'il est, avec le sentiment qu'il m'est donné d'avancer peu à peu vers l'essentiel en dépit de tout, avec l'espérance que même le pire connaîtra une rédemption.

Cette existence assumée sereinement ne s'identifie cependant pas à une douce béatitude. De fait, les humains, les animaux et même les plantes sont broyés par la multiple et irrémédiable douleur que charrie, au cœur de la création, une violence omniprésente et imparable. La vie est tragique pour chaque homme et chaque femme, de la naissance au dernier souffle, et pour l'humanité entière depuis ses origines. Nos désirs d'infini et de perfection sont sans cesse contrariés par une finitude qui emprisonne et qui tue. Incontournables sont les amours impossibles et nos limites, les déceptions, les envies, les haines, le refus de pardonner, l'inéluctable dépérissement et la mort qui engloutit toute vie. Comment se consoler quand des millions d'innocents succombent à la misère et à la faim dans un monde qui regorge de biens, sont chassés de leurs maisons et de leurs terres par les guerres que se mènent les nantis par pauvres interposés ? Comment sécher les larmes de l'enfant violé, de l'étranger méprisé et rejeté, de l'être livré à la solitude, de celle ou de celui qui enterre un être cher ? Comment assumer nos propres trahisons ?

La tranquillité à laquelle nous aspirons n'est pas accessible, et l'existence nous oblige à nous battre jour après jour sans céder au découragement. J'ai mené de multiples et parfois difficiles combats en moi-même et dans la société, vous en savez un peu quelque chose. Pourquoi donc ? Et pourquoi faut-il continuer encore ? Tout simplement parce que personne ne peut vivre pour son seul bien-être en ignorant les autres. Sans même invoquer telle religion ou tel évangile, chacun a vocation à partager avec ses semblables les bonheurs et les fardeaux de la vie, en se risquant sans réserve à protéger et à développer l'humanité de l'homme en chacun, et particulièrement parmi les plus miséreux où elle est le plus menacée. Or cela oblige à lutter contre les forces qui mentent, qui accaparent et qui assassinent. La justice et la paix n'émergent et ne se propagent pas spontanément là où règnent l'envie et le meurtre. De la famille à la cité en passant par la religion, les affrontements et les blessures sont inévitables.

Que vous dire de plus ? Lorsque je vous parle de mes convictions, des émotions et des réflexions que m'inspire mon vécu, vous m'objectez qu'il s'agit là de choses trop subjectives, énoncées de façon trop abstraite, qui ne peuvent guère vous être utiles. Il vous est même arrivé de me reprocher d'être trop sûr de moi, voire envahissant. Vous avez sans doute raison assez largement, et cela m'interpelle. Dialoguer n'est pas une affaire de mots à portée de main. Non seulement l'expérience intime est difficile à communiquer, mais pour accéder à une parole qui puisse vraiment se partager, il me faudra encore longuement apprendre à écouter en silence ma propre vie et celle des autres, laisser patiemment se tisser cette parole au fil de relations dépouillées de toute envie d'influence ou de mainmise, renoncer à vouloir la transcrire en termes qu'il serait possible d'engranger et de distribuer à ma guise. Il me faudra aller jusqu'à admettre que la révélation de ces vérités ne dépendra en fin de compte jamais de moi, quels que soient les efforts investis.

Jean-Marie Kohler

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Connaître ce qui échappe au savoir

Mieux vaut être savant qu'ignorant, et même très savant plutôt qu'un peu seulement. Mais là n'est pas l'essentiel. Pour vivre, il faut croire en la vie, croire en l'homme, et par conséquent croire en une réalité qui transcende le monde – croire en Dieu est à la fois une autre affaire et la même –, or cela ne relève pas de la science. Le savoir permet de comprendre la vie jusqu'à un certain point – son comment –, mais il n'en dévoile pas le pourquoi et ne peut pas en dispenser le souffle. C'est le cœur qui ouvre sur l'essentiel, sur ce qui est à la source de l'existence, qui en constitue le fondement et lui donne la vie en partage.

L'intelligence en quête de sagesse implique beaucoup plus que le savoir quand elle cherche à connaître l'homme au delà de sa réalité immédiate et de sa rationalité. Elle invite à croire et, en atteignant sa forme la plus haute, elle implique même le croire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'agnosticisme qui s'enferme dans les limites du savoir n'est finalement qu'une croyance qui, sans s'avouer telle, se contente frileusement d'une connaissance mutilée. Qu'il ait foi en Dieu ou qu'il soit athée, seul l'homme qui croit en une transcendance peut vraiment, en connaissance de cause, dire « je ne sais pas » face au mystère de cette transcendance. Parce qu'il reconnaît l'existence de ce qui échappe à son savoir, lui seul peut savoir qu'il ne sait pas et ne peut pas savoir. Croire lui permettra d'entrevoir ce qui ne se voit pas d'emblée. N'est-ce pas la porte de l'ultime connaissance possible pour l'homme ?

Jean-Marie Kohler

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Face à la fatalité

Il est banal de dire que la fin de toutes choses est inexorable et que chaque être humain sera tôt ou tard rattrapé par le temps. La chronologie et la physiologie ne mesurent cependant pas l'essentiel : l'homme n'a pas l'âge de ses tissus, mais il a l'âge de son cœur et de son esprit. Plus encore : même miné par l'usure physique, un corps peut retrouver une jeunesse quand le cœur et l'esprit lui insufflent leur puissante créativité. L'amour est capable de renouveler la face de la terre par delà toutes les morts.

Habitée par une force spirituelle, la matière est animée par elle. Même si la temporalité physiologique représente une détermination majeure pour le corps et l'intellect, elle n'est pas le maître absolu et ultime de l'homme et du temps qui lui est donné en propre. L'humanité se déploie fondamentalement dans une autre dimension. Lorsqu'un homme se met à vivre selon sa vérité, cette expérience transcende tout son passé et construit sa vérité éternelle, quelle qu'ait été par ailleurs son insignifiance et quelles que soient ses faiblesses. Au cœur du temps, la rédemption façonne l'immortalité.

Jean-Marie Kohler

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Désir et devoir

Accusé de couper les ailes à la liberté et d'étouffer la vie, le devoir a plutôt mauvaise presse de nos jours. On prête à l'homme de devoir une rigidité qui attriste et paralyse, quand on ne l'accuse pas d'être hypocrite tout simplement, et ces reproches ne sont pas toujours injustifiés. De fait, la vie surgit d'une source qui se situe au plus profond de notre être, là où naît notre désir, bien en deçà des impératifs de la morale et des devoirs. Don inaugural accordé gracieusement, création permanente refusant toute soumission, la vie est absolument libre et a la puissance de libérer. Mais ne pouvant s'épanouir que dans la relation à autrui, elle exige d'être sans cesse portée par l'éthique comme l'enfant a besoin d'être entouré et porté pour survivre et grandir. Secourable dans le quotidien ordinaire, le devoir peut se révéler vital dans les situations extrêmes.

Non seulement le devoir garde l'homme face aux séductions communes de l'accaparement et du pouvoir, mais il constitue contre les dangers les plus graves un garde-fou qu'il serait présomptueux de mépriser. Quand il arrive que le désir tarisse, que tout vire au flou et se met à vaciller, puis à déraper, que les repères se brouillent et que les appuis habituels se dérobent, seul le devoir permet en fin de compte de rester debout. Face à la tentation de se laisser sombrer quand le sens de l'existence lui-même s'évanouit, sa mise en œuvre témoigne à sa pauvre façon de cette vie qui nous vient d'ailleurs et que nous avons vocation à transmettre. L'homme qui acquiesce au devoir témoigne d'une constance qui le porte, le protège de la dislocation et le fortifie, qui l'aide à se retrouver dans les contradictions et à avancer à travers les épreuves. Grâce au devoir il pourra survivre, fidèle à lui-même, à autrui, au monde et à la transcendance que d'aucuns nomment Dieu.

Vécu dans le quotidien, le devoir ne revêt pas l'héroïsme exaltant dont on le pare souvent. Lorsque l'homme pris dans les ténèbres se sent irrémédiablement impuissant, le devoir l'invite à rester là, immobile et en silence, comme un veilleur attentif à demeurer disponible dans l'attente, appliqué à faire humblement les gestes élémentaires et ces sortes de prières premières qui accompagnent la vie pour qu'elle puisse continuer malgré tout. Le devoir incarne alors non seulement la fidélité à cette part de l'être qui nous constitue, mais notre confiance en l'être infini qui vit dans les autres et anime l'univers en même temps qu'il vit en nous. Bienveillance et soin accueillis et distribués comme l'air qu'on respire, avec reconnaissance et modestie. Le devoir peut alors être joie de vivre jusque dans les pires épreuves.

Jean-Marie Kohler

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À la mémoire de Dieu

Que dire, au retour de cet enterrement, de l'éloge funèbre que j'ai entendu et des questions qu'il a soulevées en moi ?

Pétri de la pâte commune, j'aimerais qu'un jour l'on dise de moi que j'ai été celui que j'ai rêvé d'être... Mais non ! Quand j'essaye de me rappeler qui j'ai été et de scruter qui je suis, je préfère demander que personne ne dise rien quand le moment sera venu... Car si j'ai été celui-là, j'ai aussi été son jumeau des antipodes, et il est vraisemblable que même cette double identité contradictoire ne suffise pas à rendre compte de ma vie. À vrai dire, j'ai été en même temps infiniment plus et infiniment moins, comme chacun d'entre nous. J'ai été moi et une multitude d'autres, en deçà et au delà de moi. J'ai bien entendu existé par moi-même, libre et responsable de mes choix. Mais j'ai également existé par tous ceux qui m'ont façonné dès le départ et tout au long de mon chemin, au sein de l'immensité qui est notre première et ultime demeure. En ce lieu-là, la pudeur et le respect commandent le silence, car Dieu se souviendra et cela suffira. À lui vat !

Cependant, le monde aura été notre maison, le foyer où nous sommes nés, avons aimé et souffert, et enfanté d'autres vies. Cela aussi fera partie de notre éternité. Pas un simple couloir de passage qu'il est possible d'oublier, mais le lieu nourricier et tutélaire où il aura été donné à chacun de se réaliser parmi et avec les autres, pour toujours. Dès lors est-il normal d'éprouver le besoin d'évoquer cette maison quand survient la mort, de rappeler la mémoire de ceux qui s'en vont, d'imaginer ce qu'ils ont été au plus intime de leurs désirs, et d'exprimer notre fidélité aux valeurs qu'ils ont essayé d'incarner. Mais comme cet exercice est difficile !

Jean-Marie Kohler

 
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