Le voyage en Hongrie organisé par la MISA et les EOP (1) du 20 au 25 avril, sous la houlette du pasteur Alain Spielewoy et avec la collaboration de Mme Ildiko Kovacs de la paroisse de l’Illberg-Coteaux, s’est déroulé conformément à la tradition de ces deux institutions : « avec des rencontres sur place, une réflexion sur l’évolution du pays, et quelques visites touristiques ». Riche et plaisant périple qui, en plus des questions de fond rapportées par la quarantaine de personnes qui y ont participé, n’a laissé que d’excellents souvenirs grâce au savoir-faire de ses promoteurs et à l'accueil reçu. La beauté des paysages traversés et la magnificence des lieux visités à Budapest ayant fait l’objet d’innombrables photos, les quelques lignes proposées ci-après seront plutôt consacrées à l’amorce d’une réflexion sur la vocation des Églises à partir des impressions échangées au cours du voyage.

Une histoire tourmentée

À la fois héritière d’un passé glorieux et marquée par la folie guerrière et politique des hommes, la Hongrie illustre de façon saisissante la grandeur, la vulnérabilité et les contradictions de l‘Europe centrale. Elle a été maintes fois conquise et occupée, notamment par les Romains, par les Turcs et par l’Autriche. Dans les années 40, elle a beaucoup souffert des combats menés par les alliés contre l’armée du IIIème Reich, puis elle a été asservie durant près d’un demi-siècle par le communisme soviétique. Aux séquelles du totalitarisme qui a meurtri son génie et sa capacité d’initiative s’ajoutent aujourd’hui les effets dévastateurs d’un capitalisme débridé, encore amplifiés par la dernière crise. La protection sociale généralisée longtemps assurée par le régime communiste a cédé la place à un système inique qui sacrifie les plus faibles au profit des privilégiés ; le chômage et son cortège habituel de malheurs ne cessent de s’accroître de façon dramatique ; l’endettement du pays est un des plus élevés en Europe ; et le délitement des valeurs traditionnelles s’accélère. Que réserve à cette nation la mondialisation en cours ? Cela dépendra des combats que les Hongrois et leurs institutions – dont les Églises – se détermineront à mener, et de ceux que mèneront ensemble à travers le monde toutes les personnes qui refusent de se plier à la tyrannie de l’argent.

Investissement socioreligieux

Après avoir été brimées et spoliées par le régime communiste, les Églises hongroises ont récupéré avec grande satisfaction la plupart de leurs biens – restaurés aux frais de l’État – et leurs anciennes fonctions sociales, et elles font aujourd’hui preuve d’une vitalité qui pourrait à première vue inspirer de l’envie à bien des Églises de l’Europe de Ouest. Les convictions s’y affichent fortes, portées par des femmes et des hommes souvent jeunes, dont la conscience identitaire se concilie avec un œcuménisme ouvert sur la société civile. Tous les domaines de la vie sociale sont investis par les institutions ecclésiastiques avec l’aval de l’administration étatique, à commencer par les écoles dont l’influence est considérable et par les hôpitaux. Même si elle peut paraître fastidieuse, l’énumération des services officiels du Centre de la Mission Réformée de Budapest mérite d’être transcrite en guise d’exemple : Service des mariages et de soutien aux familles, Mission auprès des Tziganes, Service d'aide par téléphone, Mission dans les hôpitaux, Mission auprès des malades mentaux, Mission auprès des malentendants et des sourds, Mission auprès des aveugles, Service pastoral des prisons, Mission auprès des sans domicile fixe, Mission anti-alcoolique, Mission auprès des drogués, Mission auprès des réfugiés, Mission à l’aéroport. Mais la mise en œuvre de ces actions éducatives, sanitaires et caritatives exige des ressources financières et une logistique très importantes. Le soutien apporté par l’État est renforcé par l’aide du Fonds Social Européen, ainsi que par d’autres contributions de diverses origines – des États-Unis notamment.

Efficacité sociale et témoignage évangélique

Le visiteur étranger se réjouit de rencontrer des croyants qui se mobilisent ainsi en Église, surtout quand lui-même vient d’une communauté frappée par le dépérissement des institutions ecclésiales dû à la sécularisation. Cependant, il faut se garder des comparaisons hâtives et des illusions qu’elles engendrent. Non seulement le modèle hongrois n’est pas transposable, mais il comporte ses limites dans son propre périmètre. Les suppléances sociales assumées par les Églises s’avèrent d’autant plus contraignantes et ambiguës qu’elles relèvent de financements et de contrôles extérieurs qui obligent à des compromis parfois discutables. Les intérêts institutionnels et le souci d’un management performant tendent à porter les instances ecclésiastiques à transiger, au nom de l’efficience, avec les préceptes évangéliques les plus radicaux. Et, en tout état de cause, il semble que la sécularisation progresse en Hongrie comme ailleurs, et que les Églises risquent de s’étioler au plan de leur spécificité spirituelle alors même qu’elles défendent avec succès leur place et leur visibilité dans la société.

Pour suivre la voie de l’évangile dans l’environnement contemporain, il n’est pas forcément souhaitable de reprendre le contrôle des secteurs de la vie sociale qui ont échappé aux Églises ni de vouloir régenter la société, mais il convient de vivre la foi au cœur du monde, sans brandir de bannières confessionnelles. Le royaume de Dieu annoncé dans l’évangile invite les croyants à collaborer avec tous les hommes de bonne volonté, sans acception d’appartenance religieuse, pour l’avènement d’une humanité plus humaine, axée sur la recherche de la justice et de la paix, et particulièrement attentive aux plus petits.

Jacqueline Kohler

(1) MISA : Mission dans l’Industrie Sud-Alsace, service protestant d’accompagnement de la vie professionnelle. OEP : Équipes Ouvrières Protestantes.

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