Une initiative laïque et œcuménique dans le Sundgau
Un état des lieux
Tandis que la culture générale et professionnelle ne cesse de progresser, la culture religieuse reste à la traîne quand elle ne régresse pas : incompréhension du langage et des symboles religieux, faible niveau des connaissances doctrinales, croyances incohérentes - voire aberrantes parfois. Ce déficit est regrettable non seulement pour les croyants dont il étiole la foi, mais également pour l'ensemble de la population qui oublie ses racines et ne comprend plus le riche héritage que lui a légué l'histoire judéo chrétienne. Avec la baisse de la pratique religieuse et les processus de sécularisation qui tendent à marginaliser les Églises, il est prévisible que ce phénomène continuera à s'aggraver. Exigeant et désenchanté, notre monde a besoin d'une parole vraie pour aujourd'hui, à la fois rigoureuse et inspirée. De nouvelles initiatives s'imposent.
Les objectifs
Débutées en 1997, les conférences Culture et Christianisme ont pour but de proposer au grand public, hors des églises et des temples, un programme de culture religieuse et une approche contemporaine des problèmes essentiels de la foi, à la lumière des progrès de la recherche. Concrètement, ces conférences visent à traiter quelques-unes des grandes questions que beaucoup de chrétiens et de non-chrétiens se posent à propos du christianisme, de ses rapports avec les autres religions et avec le monde d'aujourd'hui.
L'initiative se veut laïque et œcuménique, en accord avec l'Evangile et les valeurs de notre temps. Laïque, du fait qu'elle se propose de servir sans préalable ecclésiastique la recherche spirituelle qui est à l’œuvre dans le monde profane, en ne relevant d'aucune autorité ou obédience confessionnelle. Œcuménique, car s'adressant à l’ensemble des personnes qui s'interrogent sur le sens de la vie et sur les réponses que peut apporter le christianisme à cet égard, quelles que soient leurs convictions ou leur appartenance religieuse. Loin d'impliquer une quelconque exclusive, ce double choix appelle la collaboration de tous les hommes et de toutes les institutions de bonne volonté - en particulier celle des Églises.
À l'opposé de l'endoctrinement et du prosélytisme, ces conférences se limitent à proposer des connaissances et de la réflexion, étant entendu qu'il est souvent plus utile d'expliciter de façon adéquate les questions que les hommes portent en eux que de leur infliger des réponses toutes faites qui n'ont plus cours ou se révèlent insatisfaisantes. Évitant tout dogmatisme, la démarche tâche de prendre en compte les représentations, les savoirs et l'anthropologie actuels, ainsi que les langages de nos contemporains.
Les thèmes des conférences
S'inscrivant dans une perspective à long terme, le programme comprend plusieurs cycles de conférences. Le premier a traité des textes fondateurs et du christianisme naissant : l'environnement judaïque et hellénistique, la foi et la prédication de Jésus, les croyances de l'Église primitive, la formation et l'autorité des deux Testaments de la Bible. Le second cycle a abordé l'histoire des doctrines chrétiennes et des christianismes : la formulation et l'évolution des dogmes, l'importance de l'interprétation, les trajectoires des Églises et des théologies, le vécu chrétien d'aujourd'hui. Seront ensuite étudiés quelques grands problèmes d'actualité : les effets contradictoires du progrès et de la mondialisation, le politique et l'éthique, les biotechnologies et la morale, la science et la théologie, etc. Ultérieurement, un cycle spécifiquement interreligieux abordera de façon transversale le problème des intégrismes, puis portera sur le Judaïsme, l'Islam, et les spiritualités orientales en rapport avec le christianisme.
Les modalités d'organisation
Le projet est piloté par un groupe informel qui réunit des laïcs venant d'horizons religieux et sociaux divers, les prêtres responsables des quatre doyennés du Sundgau, et le pasteur de l'Église réformée d'Altkirch. Peut s'associer à ce groupe quiconque en accepte l'esprit et s'engage à participer à la réflexion commune et aux diverses tâches d'organisation. Les décisions sont prises de façon consensuelle.
Deux conférences suivies de débats sont organisées chaque année dans le cadre non confessionnel de la Halle au blé d'Altkirch. L'entrée est libre. Les conférenciers sont choisis pour leurs compétences, leur ouverture d'esprit et leur liberté de parole, ainsi que pour leur capacité à communiquer. L'information passe par l'ensemble des médias mobilisables, et notamment par la presse locale qui publie des extraits d'interviews des conférenciers et les comptes-rendus des conférences.
Pour assurer une entière liberté à la mise en œuvre de ce projet, il n'est fait appel à aucun commanditaire ou sponsor. Les frais d'organisation des conférences (voyage et rémunération des conférenciers, location de la salle, assurances, publicité, etc.) sont intégralement couverts par les dons recueillis à la sortie des conférences.
Une diffusion élargie
Pour propager et approfondir les connaissances exposées lors des conférences, les plus importants et les plus récents livres des conférenciers sont proposés à la vente lors de chaque soirée. Les interviews des conférenciers, les enregistrements de certaines conférences et les comptes-rendus sont diffusés sur le site Internet du CCC-Sundgau.
D'autres initiatives, plus ponctuelles, s'attachent à reprendre certains thèmes au niveau de groupes ou de cercles restreints. Enfin, telle conférence a été suivie d'une séance de travail publique avec le conférencier le lendemain de son intervention, et il est envisagé d'instaurer des soirées de discussion dans le sillage des conférences.
Les perspectives
Ces conférences rassemblent régulièrement de trois à quatre cents personnes à Altkirch : des auditoires d'un type nouveau dans le Sundgau, tant par leur composition et les motivations en jeu que par leur volume. Des croyants et des agnostiques, des catholiques et des protestants, venant confronter leurs convictions ou leurs doutes aux découvertes contemporaines et aux réflexions qu’elles entraînent – et ce dans une région plutôt réputée conservatrice au plan religieux et culturel
L'exceptionnelle affluence à ces conférences peut étonner, et personne ne sait combien de temps elle se maintiendra. Mais en attendant, elle montre que les questions religieuses intéressent les hommes d'aujourd'hui quand elles sont abordées de manière libre et honnête, sans intentions cachées ni faux savoirs. Le fait que certains auditeurs viennent de loin et la quantité de livres vendus à la sortie des conférences ne font que confirmer cette observation.
Conférences : programme et archives (1997 à 2003)
- "L'humanité menacée", par Jean-Claude Guillebaud, écrivain et éditeur, ancien grand reporter au "Monde" et au "Nouvel Observateur", le 24 octobre 2003.
- "La responsabilité des théologiens", par Joseph Doré, théologien, archevêque de Strasbourg, doyen émérite de la Faculté de Théologie de l'Institut Catholique de Paris, le 16 mai 2003.
- "La foi chrétienne après le christianisme", par Maurice Bellet, psychanalyste, prêtre et théologien, le 14 mars 2003.
- "Le christianisme entre secte et sagesse", par André Gounelle, ancien doyen de la Faculté de Théologie Protestante de Montpellier, le 11 octobre 2002.
- "Nouvelle donne pour le christianisme", par Bruno Chenu, professeur à l’Université Catholique de Lyon, ancien rédacteur en chef du journal La Croix, le 8 février 2002.
- "Le défi du pluralisme religieux", par Claude Geffré, professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris, ancien directeur de l'Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem, le 16 novembre 2001.
- "Repenser la foi dans le monde actuel", par Laurent Gagnebin, professeur à la Faculté de Théologie Protestante de Paris, le 11 mai 2001.
- "Un Dieu à la merci des hommes", par Joseph Moingt, professeur émérite au Centre Sèvres (Paris), ancien directeur de la revue "Recherches de science religieuse" , le 20 octobre 2000.
- "Les mystères des apocryphes", par Jean Daniel Kaestli, directeur de l'Institut Romand des Sciences Bibliques de Lausanne, le 10 mars 2000.
- "Quel Evangile pour demain ?", par Gabriel Ringlet, vice recteur de l'Université Catholique de Louvain, le 5 novembre 1999.
- "Passion et Résurrection : les faits et la foi", par Michel Deneken, professeur à la Faculté de Théologie Catholique de Strasbourg, le 26 mars 1999.
- "Le Dieu des premiers chrétiens", par Daniel Marguerat, professeur à la Faculté de Théologie Protestante de Lausanne, le 16 octobre 1998.
- "L'homme Jésus et Dieu", par Jacques Duquesne, journaliste, essayiste et romancier, le 11 mars 1998.
- "Qumrân et les débuts du christianisme", par Michèle Morgen, professeur à la Faculté de Théologie Catholique de Strasbourg, le 10 octobre 1997.
Objections et réponses
N'est il pas inutile de s'inquiéter de l'avenir de la foi et des Églises, alors qu'il devrait suffire de prier Dieu et de se fier à sa divine Providence ?
Si l'on croit que l'homme a été créé libre dans un monde autonome, force est de reconnaître que Dieu lui-même ne saurait dispenser les chrétiens des responsabilités et des tâches qui, en ce monde, ne peuvent incomber qu'aux hommes. C'est aux croyants de chaque génération qu'il revient de témoigner de la Bonne Nouvelle auprès de leurs contemporains, dans un langage compréhensible par ceux-ci, et de construire avec eux le Royaume de Dieu dès ce monde.
Pourquoi se préoccuper de culture religieuse, alors qu'il est écrit que Dieu se révèle aux cœurs simples sans condition aucune ?
C'est une erreur d'identifier l'humilité à l'ignorance, et l'intelligence à l'orgueil. Dans les milieux les plus humbles comme dans les plus sophistiqués, la culture est l'une des principales dimensions humaines de la foi ; cela a toujours été ainsi et il ne peut en être autrement. En ayant besoin du langage et de la réflexion pour s'exprimer et se développer, la foi relève de la culture. Il n'est donc pas exagéré de dire que l'avenir de la foi est en partie lié à l'évolution de la culture, et particulièrement de la culture religieuse. Une foi véhiculée par une culture morte ne peut pas être une foi actuelle, vivante et transmissible. D'où la nécessité de réinventer la foi dans le cadre des problématiques culturelles contemporaines.
Que faut il entendre ici par culture religieuse ?
C'est fort simple : un minimum de savoirs et un maximum de discernement pour acquérir une certaine maîtrise des questions relatives à la foi. II ne s'agit donc pas d'érudition, mais d'une démarche largement accessible. Pour entrer dans cette voie, la première tâche consiste à faire sauter les verrous qui enferment les savoirs religieux dans une sphère lointaine et intangible, qui existerait hors des hommes et hors du temps comme une sorte de musée du Bon Dieu. Déconstruire les dogmatismes apparaît comme un préalable à toute appropriation renouvelée des connaissances religieuses. Mais en même temps que s'opère cette déconstruction, la foi doit rechercher et construire ses nouvelles références, s'incarner dans l'aujourd'hui des hommes pour réaliser l'aujourd'hui de Dieu parmi eux.
N'y a t il pas lieu de craindre qu'une reformulation actualisée de la foi ne déstabilise les croyants les plus attachés aux traditions ?
Il est assurément coupable de jeter le trouble là où règnent des convictions sereines. Mais, en réalité, la foi n'est pas assimilable à une programmation innée ou reçue une fois pour toutes, qu'il suffirait de garder en mémoire à l'abri des perturbations de l'existence et du monde. Il revient à chaque croyant de façonner sa foi au fil des événements qui marquent sa vie, en prenant les risques qu'une telle aventure comporte, mais également en s'appuyant sur tout ce qui est de nature à l'éclairer et à le conforter. Ceux qui estiment sain et utile d'identifier autant que possible les questions qu'ils se posent au sujet de leur foi peuvent, s'ils le désirent, trouver un accompagnement utile dans les conférences proposées, et ce même si le questionnement ne débouche pas sur des réponses toutes prêtes ou si certaines réponses avancées peuvent surprendre. Quant à ceux qui prétendent posséder la vérité, les conférences ne leur enlèveront rien comme elles ne pourront rien leur apporter – d'ailleurs, ils ne s'y rendent pas.
Cette initiative ne risque-t-elle pas de mettre en question, aux yeux de certains fidèles, les prérogatives des Églises ?
Les conférences Culture et Christianisme, dont les objectifs et les modalités pratiques ont été définis en bonne intelligence avec les responsables ecclésiastiques, ne concurrencent en aucune manière le travail propre des Églises qui est de former des communautés de croyants, de confesser la foi, d'en célébrer les mystères, de promulguer des normes en matière de doctrine, de comportement et de rites. Il est vrai que ces conférences interfèrent, au niveau de leur public, avec la parole distribuée par les Églises ; mais une telle interférence ne saurait présenter que des avantages dès lors que l'on dépasse les considérations à courte vue. D'une part, la foi des croyants ne peut que s'enrichir d'un apport supplémentaire de connaissances, véhiculé dans le cadre d'un programme conçu et mis en œuvre avec la participation du clergé. D'autre part, les Églises ne peuvent que se féliciter du fait que cette initiative touche une fraction non négligeable de personnes qu'elles-mêmes n'atteignent plus.
N.B. : Si la culture religieuse joue un rôle essentiel dans l'épanouissement et le rayonnement de la foi, celle-ci ne peut cependant s'actualiser que par des engagements concrets : reconnaître Dieu en chaque personne, le faire advenir dans notre monde à travers un amour qui s'investit au service des hommes, et participer ainsi à son œuvre continue de création et de salut.
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