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Certains articles mis en ligne sur ce site ont suscité d’assez nombreuses réactions qui ne peuvent pas toutes être reproduites. Ne sont retenues ci-dessous que quelques-unes de celles qui ont donné lieu à un échange pour préciser les questions en débat et progresser dans la réflexion.
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La plupart des messages reçus expriment, par delà d’éventuelles nuances ou réserves ponctuelles, une adhésion globale aux analyses présentées. Parmi les réactions négatives enregistrées, la plus illustrative rejette le bien-fondé de toute critique : « Nous aimons bien nous rappeler ces dictons qui disent que “ la plus grande imperfection est de s'impatienter de l'imperfection des autres “ et qu'il “ vaut mieux tenir une bougie allumée que maudire les ténèbres” »...
Il est regrettable que plusieurs courriers, et des plus intéressants, ne puissent pas être reproduits ici parce qu’ils exposeraient leurs auteurs – des théologiens ou des responsables d’Église – à des critiques de type traditionaliste excédant les enjeux des articles proposés sur le site. |
Croquis C. Rimelen |
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-- Dernier commentaire, le 20 mars 2015. |
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-- Analyses -- |
Le 27 mars 2015, Jacques Musset (auteur du livre Être chrétien dans la modernité) a écrit :
Le texte de Jean-Marie Kohler met le doigt sur un indice très sûr qui sert à dépister ce que les responsables religieux pensent réellement au fond d'eux-mêmes en dépit des apparences contraires qu'ils peuvent afficher, c'est le langage habituel qu'ils emploient ou qu'on emploie à leur sujet et notamment le langage convenu lié à leur fonction ou à leurs croyances, langage hérité et adopté comme allant de soi. Ce langage peut être des mots, des rites, des costumes, un certain décorum, etc... A force de l'employer eux-mêmes ou de l'entendre employer à longueur de jours sans y réfléchir, de le répéter sans se questionner sur ce qu'il véhicule, beaucoup finissent dans bien des cas par penser comme ils parlent ou comme on parle d'eux et c'est un conditionnement dont ils ont peine à sortir.
JM. Kohler souligne à bon droit que dans l'Église catholique les évêques et les prêtres peuvent se laisser piéger par les appellations dont on les gratifie : monseigneur, Père, par le costume épiscopal ou sacerdotal qu'ils revêtent aux messes solennelles, par la place qu'ils y occupent dans l'espace, et ainsi ne pas se rendre compte que ces titres, ces costumes, ces places sont non seulement anti-évangéliques mais peuvent flatter et développer leur ego de responsable et de détenteur du pouvoir. Ils peuvent également se faire piéger par la doctrine officielle qui les définit officiellement : successeurs des apôtres, gardiens de la foi de l'Église, mandatés par Dieu et le Christ pour conduire le « troupeau » des fidèles... En tout, ils ont le dernier mot. Dans la liturgie qu'ils président comme acteurs principaux bien en vue, ils récitent des prières où ils demandent à Dieu d'opérer par leur intermédiaire des « miracles » ( la transsubstantiation, par exemple) ou le supplient indument de prendre en charge les responsabilités qui nous reviennent ( faire la paix, la justice, etc...) . Appellation, identité théologique, fonctionnement, les met sur le haut du pavé ; cela semble aller de soi pour eux ; beaucoup y campent. En découlent le cléricalisme et l'autoritarisme.
La solution : c'est de devenir lucide en ayant recours à l'histoire qui relativise et à la source du christianisme, Jésus, le repère essentiel, et à partir de là de se débarrasser des oripeaux des héritages constantiniens et théodosiens ainsi que des doctrines inventées dès les premiers siècles qui ont gauchi et même déformé le message et la pratique de Jésus de Nazareth. « Le pacte des catacombes » a été à la fin du concile une réaction salutaire de quelques dizaines d'évêques. Il serait temps de le reprendre et de l'actualiser.
Qui empêche les chrétiens de chaque diocèse de l'envoyer à leur évêque et à leurs prêtres, en l'assortissant de leurs réflexions ? On le sait, les pouvoirs forts se nourrissent de l'inertie de leurs subordonnés. Sans doute pour une bonne part, le manque de réaction très collective des chrétiens de base laisse perdurer des représentations et des fonctionnements inadmissibles et nuisibles. A quand un soulèvement des consciences plus large que celui si courageux qui s'exprime déjà en bien des groupes mais qui n'a pas le poids suffisant pour faire échec au sur place de ceux qui ont le pouvoir ?
Jacques Musset
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-- Commentaires épiscopaux -- |
Le 6 mars 2015, Mgr Jean-Pierre Grallet, franciscain, archevêque de Strasbourg, a écrit :
Merci, cher ami, pour votre réflexion sur les anachronismes dans l'Église… Il y en a, hélas… Même si j'explique que "Mr" et Mgr" ont la même racine et le même sens, ce n'est pas pareil dans les esprits !
La tradition franciscaine reste utile, aujourd'hui encore, qui privilégie avec justesse les relations fraternelles pour les rapports interpersonnels. Quels que soient encore les titres et usages, il nous faut traverser cela et tenir à l'essentiel !
Bonne montée vers Pâques à vous et à votre épouse !
+ votre frère, Jean Pierre
Archevêque ! |
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Le 20 mars 2015, Mgr Ghislain de Rasilly (évêque de Wallis et Futuna) a écrit :
Heureux de te lire de nouveau.J'en ai profité pour regarder les autres liens que tu as signalés (vidéo Burke et Pacte des catacombes).
La visite du cardinal m'a donné des idées. Je crois que je vais me faire refaire une cappa magna (grande cape à traîne réservée aux dignitaires ecclésiastiques) et une barrette(coiffe ecclésiastique) : c'est imposant et cela entraînera la révérence de la part de mes diocésains. Le seul problème, c'est que c'est trop chaud chez nous!
Blague à part, je crois que la plupart des évêques de France seraient prêts à signer le pacte des catacombes et le vivent déjà.
Ici, chacun veut se faire appeler par son titre : c'est assez rigolo ! Tout le monde m'appelle Mosiniolo ... et me tutoie !
Le plus important est d'être en contact avec les gens et de pouvoir les rencontrer dans leur vie quotidienne, peu importe les titres.
Pour le moment, nous avons une autre préoccupation ici, bien plus importante : les conséquences du cyclone PAM au Vanuatu que tu connais bien. Tout est ravagé. (…) Même situation qu’aux Philippines il y a deux ans. (…) Ce pays qui peinait à sortir la tête de l'eau aura du mal à remonter la pente. Nous essayons de nous mobiliser ici pour les aider.
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Réponse J.-M. K. du 25 mars :
Merci beaucoup, cher Ghislain, pour ta réponse sympathique et pleine d'humour. C'est à la fois plaisant et encourageant.
Il est vrai que le spectacle donné par le cardinal Burke atteint des sommets de plus en plus rares aujourd'hui - heureusement ! Mais cet exemple caricatural devait manifester une propension cachée, encore assez commune, à la puissance et à la gloire.
Tu me dis que la plupart des évêques de France seraient prêts à signer le Pacte des catacombes. Je ne demande qu'à te croire, et je te réponds chiche !
À vrai dire, ceux qui le vivent déjà sont peut-être plus nombreux que ceux qui accepteraient de le signer - autocensure dans l'Église, comme ailleurs...
J'ajouterai que j'ai bien conscience des difficultés spécifiques que rencontre l'inculturation de l'Évangile dans les sociétés océaniennes attachées aux hiérarchies, au pouvoir et au prestige que celles-ci véhiculent. Comment reconnaître et partager les valeurs de ces populations jusqu'à s'identifier à elles, et en même temps témoigner de la subversion évangélique du message de Jésus de Nazareth ?
(…)
Pour terminer ce message sur une note d'humour, voici une scène dont j'ai été personnellement témoin. Le nonce apostolique Paolo Marella visite le Mont Ste Odile en Alsace dans les années 50. Il s'avance pour la procession muni d'une superbe cappa magna portée par des enfants de chœur. S'apprêtant à le suivre, l'archevêque de Strasbourg lui fait remarquer qu'il se soumet au cérémonial en vigueur en présence d’un nonce en portant lui-même, repliée sur son bras, une non moins belle et encombrante cappa magna. Au lieu de répondre comme cela était sans doute attendu - qu'il autorisait l'évêque du lieu à déployer lui aussi ce vêtement d'apparat -, son Éminence ou Excellence romaine déclara avec un inimitable et délicieux accent italien : " Mais ne vous privez donc pas, Monseigneur, portez-en deux, portez-en deux !" Mgr Weber n'avait plus qu'à suivre le représentant du pape Pie XII avec son prestigieux baluchon sur le bras, et c'est ce qu'il fit...
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Le 17 avril 2015, Mgr Jacques Gaillot (ancien évêque d'Évreux, nommé évêque de Partenia) a écrit : Merci de votre courrier, de vos interventions et engagements.
Je vous suis...
Il m'est arrivé assez souvent qu'au début d'une émission radio ou télé, l'animateur ou animatrice me demande :
"Comment dois- je vous appeler ?"
Je répondais :" Jacques Gaillot"
Le titre de "monseigneur" fait partie des mondanités si peu prisées par le pape François.
Ce titre est comme un fil qui dépasse. Si on tire dessus on fait venir des tas de choses qu'on ne soupçonnait pas.
Je vous conseille d'écrire à quelques évêques dont vous appréciez l'ouverture et le souci d'une Église pauvre.
Ils réagiront à vos propos. Avec eux il sera possible d'aller plus loin.
Le pacte des Catacombes a besoin de reprendre vie aujourdhui.
La présence du pape François est un appel à vivre la simplicité de l'Évangile.
Bon chemin Jean-Marie. Bon soleil. Bonne lutte.
Fraternellement |
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-- Autres commentaires -- |
Le 19 février 2015, Georges Heichelbech a écrit :
Personnellement je suis tout à fait favorable à ce genre de document.
Comment sera-t-il reçu ?
Chez les évêques, je suis tout à fait convaincu que Marc Stenger est d’accord (bien sûr aussi Jacques Gaillot) Sans doute quelques autres aussi.
Mais je pense que la majorité d’entre eux, tout en se rendant compte de l’inéquation entre les exigences de l’Évangile et ce genre de titre, cela ne leur déplaît pas de le conserver.
Mais, et c’est ce que j’aurais ajouté à cet article, si ce type de titre complètement anachronique, résultant après l’Édit de Théodose, de l’assimilation de la structure de l’Eglise à celle de l’empire romain subsiste, si personne ne s’adressait aux évêques avec ce type de titre, du fidèle lambda à la cour qui les entoure, il tomberait tout seul en désuétude.
Mais cela provient encore de plus loin. De la conception d’un Dieu, super Louis XIV, avec sa cour, son faste et son blingbling, dont toute la hiérarchie ecclésiastique n’en est que la cour.
Cela remet donc fondamentalement en cause la structure hiérarchique de l’Église, qui n’est absolument pas évangélique.
Si tu veux te détendre un peu, regarde les 8 premières minutes de cette vidéo, qui est le contre-exemple parfait de ce que tu dis :
https://www.youtube.com/watch?v=Q4DfrjJjPKc&feature=share
Ce que tu dis est une réflexion de la théologie de la libération, parfaitement illustrée par le Pacte des Catacombes.
Mais François ne l’a pas signé. Il prône une Église pauvre pour les pauvres mais n’a pas opté pour la théologie de la libération.
Même pour la béatification de Roméro, on met en avant qu’il a été assassiné mais pas qu’il a choisi l’option préférentielle pour les pauvres que combattaient Jean Paul II et Ratzinger (…).
Blog de Georges Heichelbech
P.S. On aura compris que c’est à Georges Heichelbech que l’article doit les références à la vidéo du cardinal Burke et au Pacte des catacombes, ainsi que l‘explicitation de l’impact des représentations et structures royales sur le christianisme.
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Le 21 février 2015, Jean Reignard a écrit :
(…) Il y a bien sûr d'autres sujets de débats, de critiques et tu les connais. (Mais) ta réflexion demeure importante car il s'agit de l'image détestable qui nous est donnée de ces princes "annonceurs" de l'Évangile. Et cette vidéo du cardinal Raymond Burke est d'un spectacle quasiment grotesque...
À tout hasard je te joins le texte d'un ami, prêtre au Québec *(décédé en décembre 2013) – voir ci-après Je veux redevenir laïc. Une sorte de contre-point à la mitre et à la crosse et au statut clérical.
* Georges Convert
Blog de Jean Reignard
- Texte : Je veux redevenir laïc
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Le 23 février 2015, Michel Bourgault a écrit : J'ai lu votre article Ne m'appelez plus «Monseigneur»!
De manière générale, je souscris à vos opinions à propos du titre «Monseigneur»: désuétude, adoption facile, crédibilité mise à mal, contradiction avec l'évangile. Et cela, parce que nous appartenons peu ou prou à la même génération, celle qui a cru que les promesses de Vatican II se réaliseraient sans difficulté. On connaît la suite. Notre institution, comme d'autres, a eu tendance, malheureusement, de moyen à se prendre pour une fin. Elle a oublié, et certains de ses représentants oublient encore, que son vivre témoigne du croire. Je suis en effet de ceux qui s'étonnent qu'on puisse encore porter la robe ecclésiastique à Rome au XXIe s.!, même à cause de la fonction.
J'avoue ne pas être très attentif à la situation dans ma province ou mon pays. Je vois que nos évêques adoptent plus ou moins les vêtements et insignes de leur charge. Mon évêque (Gilles Lussier) prend sa retraite au printemps: il est de ceux qui ont vivement souhaité et pratiqué la conversion inaugurée au Concile; il a adopté un style d'humble pasteur, évitant le faste de la charge, dirigeant en collégialité avec ses prêtres et les laïcs responsables. À l'évêché, autant de femmes que d'hommes ont très tôt occupé des postes-clés. Quelques années après sa nomination, il a institué les assemblées du peuple de Dieu pour être au diapason de ses diocésains, voir AVEC eux où s'en allait l'Église. Les conclusions de ces assemblées sont consignées dans le document «Projet ecclésial» et ont guidé la vie de l'Église à Joliette. C'est le genre d'évêque que l'establishment pré-François n'aurait probablement pas accepté dans ses rangs.
Mon vécu avec les évêques du Québec ne dépasse guère mon diocèse; c'est pourquoi il est bien partiel. Mon impression tout de même est que plusieurs - probablement une majorité - ressemblent à mon évêque: ils sont pasteurs de leur troupeau et ne visent guère les plus hautes charges, encore moins les honneurs, ils vivent entre eux la collégialité et, s'ils ne sont pas d'accord avec les premiers d'entre eux, ils ne font pas de vagues. Les titres et les courbettes sont plutôt secondaires pour eux. Sur le plan de l'enseignement, plusieurs ont laissé s'installer l'absolution collective, voyant là une manière de montrer la miséricorde divine plus évangélique que l'aveu individuel et la mentalité de comptable du confessionnal. Pour la plupart, je pense qu'ils entrent volontiers dans le chemin que trace François. Au niveau de l'assemblée des évêques, je ne sais pas exactement ce qui se passe, mais je sais que les évêques du style Marc Ouellet ne ralliaient pas les suffrages de ses collègues et, s'il s'est retrouvé à la tête du dicastère des évêques, c'est probablement plus par affinité avec JP II ou Benoît XVI.
Pour l'Église de demain, les vêtements et les titres sont mon dernier souci; c'est le style de la personne qui prime. Quand François prend dans ses bras un infirme, c'est cent fois plus évangélique que le baise-main à la Mgr Burke dans la vidéo à laquelle vous m'avez référé. Dans cette vidéo, je me serais cru dans le Québec des années 1950. J'imagine que chaque Église locale doit passer par une certaine évolution. La difficulté pour moi, c'est d'accepter que toutes les églises doivent marcher au même pas. Pour Mgr Burke, donner la communion à des divorcés-remariés est une trahison de l'enseignement de l'Église; pour moi ne pas le faire, c'est une trahison de l'enseignement de Jésus que tout être humain a droit au pardon et à une seconde chance. Pour Mgr Burke, accepter l'amour entre homosexuels est contre nature, pour moi le refuser c'est empêcher les homosexuels de connaître Dieu, car «qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu», puisque je crois que Dieu nous appelle et nous attire au cœur de nos amours. Je plains les Mgr Burke de ne pas avoir compris que l'Église s'est discréditée elle-même par son enseignement rigide; mais qui sait, quand ils auront quitté leur robe violette, peut-être reviendront-ils à la vérité évangélique... Espérons que François vive assez longtemps pour inculquer à ses collaborateurs que la vraie obéissance passe par le discernement de la volonté de Dieu.
Je suis quand même de la génération qui trouve plus facile de m'adresser à mon évêque par «Monseigneur», titre convenu. Quand il aura pris se retraite, je me permettrai à coup sûr de l'appeler Gilles, car j'ai toujours senti qu'il me considère comme son collaborateur et que notre relation est fraternelle en tout.
Eau du Rocher
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Le 25 février 2015, Yves Grelet a écrit :
J'aime bien ton texte ! Il est parfaitement pertinent.
Les "intéressés" le trouveront probablement impertinent ...
Jacques Gaillot ne le démentira sûrement pas.
Merci. Continue de nous envoyer ce genre de texte imparable !
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Le 25 février 2015, Claude Giasson a écrit : (…)Je suis bien d'accord avec toi qu'il y a dans l'Église des titres, des vêtements, des rituels qui sont très loin du message évangélique et qui sont plutôt un obstacle, un motif de scandale pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui. Par l'humour tu donnes beaucoup à penser... Par ailleurs je t'avoue que je n'éprouve guère de sympathie pour le cardinal Burke. C'est la droite dure, aux antipodes des préoccupations du pape François. La vidéo le montre bien.
Je mettrai avec plaisir ton texte sur notre site... sans grand espoir d'un résultat rapide à ce niveau malheureusement. (…)
Culture et Foi
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Le 26 février, François Arnold a écrit : Je viens de recevoir par G. S. votre texte : Ne m'appelez plus « Monseigneur » !
Extra !!!
J'ai folâtré aussi, à cette occasion, sur votre site internet Recherche plurielle et y ai découvert plein de richesses : quelle façon joyeuse et libérée d'exprimer ce qui fait notre foi commune (…).
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Le 26 février 2015, Paul Winninger a écrit : Mes cordiales félicitations pour votre excellente protestation évangélique contre l’une des malheureuses vanités de la Hiérarchie catholique romaine : le titre de Monseigneur. Vous rejoignez mes nombreuses initiatives dans le même sens, en particulier contre l’usage des mitres.
L’abolition de « Monseigneur » est plus difficile, parce que le terme fait partie du langage et les « fidèles » laïcs l’expriment comme devoir de politesse, comme « monsieur » (qui est l’abréviation de « monseigneur »). Parmi les évêques, du moins en France, de nombreux seraient partisans de l’abolition.
Avec le pape François on peut espérer un progrès en ce sens. Lui-même ne se nomme plus pape ou Saint-Père, mais simplement évêque de Rome. Dans les diocèses, les prélats eux-mêmes ne se disent plus « Monseigneur » (entre eux), mais simplement « Cher Frère Évêque ». Gardons bon espoir.
P.S. Paul Winninger, prêtre depuis plus de soixante-dix ans, professeur de philosophie et curé de paroisse par la suite, auteur de nombreux articles et livres (notamment sur l’ordination sacerdotale d’hommes mariés), a publié dès 1968 un ouvrage intitulé La vanité dans l’Église, et en 2011 un pamphlet intitulé Catholiques, indignez-vous ! Pour la nouvelle évangélisation, abolir mitres, titres et pourpres.
Recension :Paul Winninger -Catholiques, indignez-vous !
Pour la nouvelle évangélisation : abolir mitres, titres et pourpre
Ce pamphlet de 23 pages témoigne avec truculence et avec une vigueur toute prophétique des exigences de l’évangile face à la perversion et au ridicule des comportements de la hiérarchie catholique en matière vestimentaire et d’autoglorification par les titres. Au menu : les cols romains, les robes et les traînes, les mitres ordinaires et d’apparat, les couleurs voyantes qui culminent dans la pourpre cardinalice, et d’innombrables appellations emphatiques comme monseigneur, excellence, éminence, sainteté, pontife des pontifes. Ce délire de l’ostentation va-t-il jusqu’à inclure, par contagion, les sous-vêtements des prélats ? L’auteur ne le sait pas. Il fallait un pamphlet pour que ça s’entende dans l’Église. Lire la suite...
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Le 27 février 2015, Jean-Pierre Schmitz a écrit : J'ai regardé la vidéo un peu sinistre du cardinal Burke.
Je me souviens quand j'avais 20 ans avoir vu de près au cours d'une
cérémonie le cardinal Gerlier. Il était arrivé tout de rouge vêtu comme
celui de la vidéo (mais sans cappa magna), et avec en plus un chapeau rouge
impressionnant. Mais il avait l'air "cool" et heureux.
Tout à fait autre chose que Burke avec son air absent et paraissant surtout
soucieux de ne pas se prendre les pieds dans sa cappa magna.
Gerlier était un personnage complexe, célèbre pour son "Pétain, c'est la
France,...", mais aussi pour avoir sauvé des juifs et il ne manquait pas
d'humour. J'ai connu un prêtre qui l'avait côtoyé et qui racontait cette
anecdote :
Gerlier en grande tenue était dans sa voiture conduite par un jeune abbé très timide et impressionné par Son Éminence. Une voiture s'arrête à côté et
le chauffeur apostrophe le jeune abbé en rigolant.
Gerlier qui avait vu la scène, mais rien entendu demande alors ce qui a été dit. "Non Monseigneur, ce n'est rien, des bêtises. " Sur l'insistance du cardinal
qui exige de savoir, le jeune abbé finit par dire : "il m'a posé une
question: "Ousque tu le trimballes ton homard ?"".
Gerlier ne manquait ensuite pas une occasion pour raconter cette scène
autour de lui.
Ceci pour dire qu'il faut aussi relativiser le sérieux que certains prélats
attachent à leurs dentelles, mitres, bagues etc...
Comme tu le dis, la plus grande partie ne prennent pas trop au sérieux ces
mascarades, mais alors pourquoi s'y prêtent-t-ils ?
Je crois que, en réalité, tous ces titres de Monseigneur et autres et les
colifichets qui vont avec sont le résultat de ce que l'Institution Église
est avant tout un système de pouvoir et nous continuons à rêver qu'elle vive
et annonce l'Évangile alors qu'elle n'est pas faite pour cela.
Le but de l'Institution est de fait de préserver un ordre social existant et
en cela répond à la demande de la grande majorité des fidèles.
Lorsque J. Gaillot fut convoqué au Vatican pour s'entendre signifier son éviction, il fit remarquer que la conduite à son égard n'était pas très évangélique. Réponse des hauts fonctionnaires : "ce qui est en question ici,
c'est l'Église, pas l'Évangile". Dois-je avouer que j'aime cette réponse qui
a au moins le mérite d'être franche et claire.
Je ne rejette pas la hiérarchie ecclésiastique, il m'arrive même de saluer
ce qu'ils font ou disent, mais je ne la considère pas comme une autorité à laquelle je dois me soumettre ou contre qui je peux me rebeller. Et en fait je suis devenu plutôt indifférent aux accoutrements et titres
dont ces messieurs s'affublent. Après tout, il n'y a pas trouble à l'ordre
public.
Le titre de Monseigneur est d'un autre âge et d'un autre monde. Et c'est
précisément pour tenter de souligner cela que j'ai tendance à l'utiliser
quand je parle ou j'écris quelque chose à propos d'un évêque.
Les spectacles folkloriques ne sont pas ce que je recherche le plus, mais je
reconnais que certains sont de bonne qualité, et quelquefois transmettent
quelque chose de fort.
J'aime aussi le grégorien et certains habits de moines ne manquent pas de
beauté. Et puis, c'est vrai qu'on a besoin de rites.
Notre objectif premier est la fidélité à l'Évangile, et on ne peut pas vivre
cela seul. Il faut trouver des formes d'Église tout à fait autres. Je crois
beaucoup aux réseaux, ce qui est d'ailleurs un peu un retour aux premiers
temps du christianisme, et c'est ce que nous essayons de faire à Parvis. |
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Échanges se rapportant à : "Tutelle religieuse et liberté évangélique" |
Courriel du 21 octobre 2010
Considérations générales, denses et de qualité.
Comment devenir et rester un homme libre face aux institutions ? Qu'elles soient laïques ou religieuses, peu importe.
Je ne peux répondre à cette question, n'ayant pas trouvé le chemin de la liberté...
Maritain disait qu'il fallait avoir l'esprit dur et le coeur doux pour traverser ce monde... la plupart d'entre nous avons le coeur dur et l'esprit mou !
Bonne journée, pk |
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Échanges se rapportant à : "Coutume de consolation ou pari sur l'avenir ? La Journée consistoriale à Storck" |
Courrier de Bernard Libis, du 3 juillet 2010
Bonjour Madame,
J’ai lu avec grand intérêt votre article. J’apprécie le parler-vrai et vous en remercie. Je me sens interpellé et désire vous donner mon sentiment sur le sujet abordé. Je ne prétends pas avoir la vérité, mais j’ai aussi réfléchi à cette question.
L’engagement n’a lieu qu’en fonction des convictions. Les convictions découlent de ce que l’on a reçu, puis développé. Je précise que je me place au-delà du rationnel, au niveau de la foi. Le monde actuel connaît d’une part de grandes difficultés (je vous cite avec plaisir). Ce monde a senti une évolution, s’est mis à douter. Le Dieu de Nietzsche est mort, cela entraîna une baisse de 70% de pratique en Europe dans ma génération, et cela continue. Ce monde a aussi acquis des connaissances, mais il les intègre encore peu. Malheureusement il se fourvoie dans des options très immatures. Permettez-moi d’aborder les dimensions qu’il importe, selon moi, de prendre en considération :
- La raison est très utile mais ne peut accéder à l’essence de l’être et à tous ses besoins, ni à l’essence de l’Être. L’étroit rationalisme fait encore pas mal recette, mais les gens sérieux savent qu’il est dépassé. Les arguments abondent. Les mathématiques, discipline échappant à toute contingence matérielle, sont « incomplètes, ou incohérentes » (Kurt Goedel). La notion de temps et d’espace de la physique classique ne peut s’intégrer à la physique quantique. L’astronomie moderne peut décrire le monde comme issu « d’un rien ». La neurobiologie montre aisément que le cerveau opère de façon déductive, mais elle ne peut trouver trace de la vie créative profonde, ni de celle de l'Être. Conclusion provisoire : l’humain n’a accès, ne peut comprendre et formuler que des vérités partielles et provisoires. Il serait utile que cela soit plus connu et qu’on se remette de temps en temps en cause, a priori à tous les niveaux.
- Les sciences humaines ont énormément progressé. On sait qu’il faut nouer avec l’être profond et accéder à la liberté intérieure. On sait qu’on a jeté le bébé avec le bain lors de la Révolution ; on a donné comme mission à l’Éducation Nationale de ne transmettre que du savoir, mais pas de valeurs ni de sens profond. Il en résulte des êtres avec un grave manque de structure psychique (15% des 17 ans en Allemagne, 30% à Hamburg), car hélas les parents ne font guère face de leur côté. Jeunes et vieux, en plus, et de nos jours, sont absorbés par 3 à 4 h de télé/ordinateur/jeux électroniques. Les jeunes ont trop peu de dialogue avec des personnes mûres, ils sont seuls pour construire leur identité… On zappe et on évite la profondeur (prof. Herzka).
- Les parents sont épris de consumérisme (c'est-à-dire épris d'avoir et pas d'être). Pourquoi n’ont-ils pas d’idéal plus élevé ? Ce qui est proposé ne les séduirait-il pas ? Sans idéal, on n’a pas de « rêve » dans lequel on peut se projeter. Blues et névrose se pointent.
- La neurobiologie nous montre que nous sommes dirigés en 1er lieu par le système limbique du cerveau et son souci essentiel de sécurité, et en 2ème seulement par le cortex. Des données profondes (foi incluse) peuvent nous influencer, mais dans certaines conditions seulement. Il existe une liberté, si elle est redéfinie, incluant le dit « inconscient » et le dialogue avec lui. Une des conditions est le management du corps, corps et esprit sont liés. Un poupon, par exemple, qu’on ne caresse pas physiquement, à qui on ne sourit pas, ne développe son « je » qu’avec énormément de retard. Sans participation (saine) du corps, pas d’humanité. Le Christ s’est incarné pour être homme. Une autre condition relève du dialogue, du temps, de la persévérance. En l'absence de ces conditions, il n’y a que des êtres déshumanisés, méfiants, sans sentiments, ne sachant pas les manager, ne sachant pas établir de relations : le phénomène de neurones miroirs ne se produit pas, l’autre reste un objet.
- La philosophie de l’Occident découle très largement de celle de Platon, ce n’est pas le cas de celle de l’Orient (une aire culturelle que je connais peu, mais j’y ai vécu). Platon pensait qu’on peut tout déduire de la pensée, nul besoin d’expérimenter. Kant a cherché le compromis. Les existentialistes s’en sont démarqués à juste titre, les « philosophes de la nature » de même. Les autorités religieuses, peut-être sous l’influence de l’empire romain de Constantin, se sont laissé embarquer par l’approche platonicienne, cela se renforça au Moyen Âge. L’homme sous l’autorité (Empire et Église) a été coupé du divin, la Réforme heureusement intervint. Mais la philosophie a trop peu évolué, elle rejette le numineux ; l’esprit à la Platon reste un idéal.
- L’art (musique, peinture…), les contes, la poésie parlent à notre être profond, via le système limbique (prouvé en neurobiologie/prof. Huether, Bauer), le « faire » également (un voyage à St Jacques de Compostelle a plus d’effets que la simple méditation).
Il importe de considérer les conséquences de ces données, je veux nommer :
- donner au corps sa juste place lors de la recherche de la totalité de l’être, et enseigner cela. La position de la femme (associée au corps), l’équilibre de l’homme (qui croit devoir nier son côté féminin, donc le relationnel) en bénéficieront, cela ouvre des chemins vers la totalité, au partenariat de la créature avec Dieu. Joie et énergie se libèrent…, ainsi que le plaisir à s’engager.
- ne pas parler seulement du « demander et vous recevrez » de l’enfant, pas seulement parler de rachat. Se limiter à cela, c’est infantiliser. Il y a encore une autre façon de lire la Bible : les humains ont à continuer la création, à se construire, à agir en alliés de Dieu. Je souligne que certains juifs et certains orthodoxes (Annick de Souzenelle) plaident pour cette valorisation de l’être humain, seule crédible. Cette position ne nie pas celle de l’enfant, elle s’y ajoute. Y a-t-il paradoxe ? Peut-être, cela ne manque pas dans la Bible, mais au vu de nos limites, les paradoxes sont incontournables pour aborder la totalité. Comprises ainsi, la vie et la foi sont séduisants.
Merci de m’avoir lu jusqu’ici. Je ne suis pas théologien et ne maîtrise que certaines des disciplines évoquées. De plus, nous humains avons des sensibilités différentes. Mes propos ne relatent que des voies que j’explore, et peuvent être améliorés. Vos commentaires m’intéresseraient.
Cordiales et respectueuses salutations.
Bernard Libis |
Réponse du 14 juillet Cher Monsieur,
Submergée par de multiples retards à mon retour d’un voyage en Pologne et en Lituanie, je n’ai pas pu répondre plus tôt à votre lettre. Mais les perspectives que vous proposez me paraissent éclairantes et je vous en remercie. (...)
La réflexion amorcée dans mon texte était destinée au lectorat particulier des fidèles et des ecclésiastiques abonnés au "Ralliement protestant", et ce à partir des questions soulevées à l’occasion de la dernière journée consistoriale de l’Église réformée de Mulhouse. La réflexion esquissée dans votre lettre est d’une portée beaucoup plus générale, mais elle s’ancre pareillement dans le constat du dramatique décalage qui caractérise le discours et les pratiques religieuses au regard des réalités présentes. (...) Comme vous, je pense que les Églises ne peuvent pas continuer à distribuer leurs doctrines et leurs consolations en se dispensant de se remettre en cause par rapport au vécu contemporain : par rapport aux découvertes scientifiques, aux progrès technologiques, aux bouleversements sociaux, et aux interrogations éthiques véhiculées par cette évolution. Je suis convaincue que l’évangile nous enseigne une vérité indépassable, mais cela ne signifie évidemment pas que la Bible contient les réponses à toutes nos questions, et que les professionnels de la religion sont d’emblée les mieux placés pour résoudre tous les problèmes. L’implosion des structures ecclésiales devrait suffire à les en persuader...
Il serait trop long de discuter aujourd’hui en détail le contenu de votre lettre – les apports des sciences mathématiques et physiques, de la biologie et de la neurobiologie, et des sciences humaines entre autres. Mais sachez que, moyennant quelques réserves, je partage globalement vos observations. Quoique toujours relative, la raison procure à l’humanité des lumières nouvelles pour lui permettre de s’accomplir, bien au-delà du rationalisme étriqué auquel elle a été indûment identifiée. Loin de se réduire à Platon, même en Occident, la philosophie représente un effort de pensée d’une immense richesse à travers le monde, susceptible de nous libérer de bien des œillères, d’approfondir notre épistémologie et de nous révéler l’universel. Oui, la création artistique et la recherche spirituelle nous font découvrir des dimensions inattendues de l’homme, qui transcendent le passé et contribuent à façonner un avenir inédit.
Sans doute conviendrait-il d’ajouter aux points que vous avez abordés dans votre lettre les terribles problèmes que soulève de nos jours la suprématie de l’argent et la marchandisation du monde. Immense est la souffrance des plus humbles, et nous sommes tous – avec nos Églises bien entendu – plus ou moins complices de la violence que font régner les forces dominantes qui défendent les intérêts à court terme de l’Occident (pillages, guerres et terrorisme étatique ou contre-terrorisme entre autres).
Avec mes cordiales salutations,
Jacqueline Kohler |
Courriel de Bernard Libis, du 14 juillet 2010
Chère Madame
Merci d'avoir bien voulu prendre ma lettre en considération. Je suis heureux de voir que les questions qui me préoccupent sont partagées par d'autres personnes.
Je conviens avec vous que la raison nous a libérés de bien des oeillères, c'est un outil très utile. J'ai voulu dire qu'au même titre que les sciences, la raison ne peut accéder à l'essence de l'être, encore moins de l'Être. C'est mon sentiment, tout en convenant que je ne suis pas un philosophe professionnel et que je cherche à m'enrichir dans cette direction (j'anime un cercle d'études dans ce sens à Bâle).
J'ai consulté "Recherche Plurielle" et vous dis un grand bravo. Y ayant trouvé mention de votre formation, peut-être dois-je vous indiquer la mienne : matheux d'origine - doctorat (en chimie) - spécialisation en chime médicinale (intérêt particulier pour le cerveau) - formation à l'économie à Harvard - et formation en psychologie à Zurich. Suis né en 1938.
Suprématie de l'argent : je vous rejoins totalement. L'économie est basée à tous les niveaux sur l'avoir, et non pas sur l'être. C'est le cas au plan mondial : il est éthiquement accepté que chaque pays poursuive son seul intérêt. En fait, on va dans le mur avec cette approche. Il faut, selon moi, une politique planétaire de soutien aux pays en développement, non liée à l'intérêt d'un quelconque pays. Écologie et accès aux matières premières devraient aussi être traités de cette façon. Au plan personnel, avoir = immaturité/anxiété. Seule une spiritualité de bon calibre peut faire avancer les choses sur ce plan, la sagesse biblique a montré la voie, la psychologie le confirme. (...)
Cordiales salutations aussi,
Bernard |
Réponse du 14 juillet 2010 Merci, cher Monsieur, des précisions que m'apporte votre réponse au sujet de votre parcours personnel et de votre réflexion.(...)
Je suis d'accord avec ce que vous dites de la raison qui se réduit au rationalisme. Mais je ne suis pas sûre que la raison ne soit que cela, ni qu'il faille séparer aussi radicalement l'intelligence de l'esprit et l'intelligence du cœur, et couper la raison de l'être. Ne constitue-t-elle pas, elle aussi, une dimension essentielle du vécu humain ?
Très cordialement à vous,
Jacqueline Kohler |
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Échange se rapportant à : "Divine blessure, Jacqueline Kelen, Albin Michel, Paris, 2005". |
Lettre de Jacqueline Kelen, du 18 mai 2005
Cher Monsieur,
Je vous remercie de votre lettre ainsi que du compte rendu riche et précis que vous avez fait de mon livre « Divine blessure ».
D’évidence – et cela ne me gêne point -, vous abordez l’ouvrage d’un point de vue catholique, d’où votre méfiance à l’égard de « l’ésotérisme » (pour moi, cela équivaut à : « Le Royaume est à l’intérieur »), des « fous de Dieu » (qui, pourtant, témoignent de l’Amour infini), de l’Absolu Divin...
Je suis née dans cette religion, et avec le goût de me sentir aimée de Dieu (et du Christ). Mais je me suis éloignée de l’Église, de la pratique, sans pour autant les mépriser ni les rejeter : si peu de joie, si peu de silence, dans l’assemblée des "fidèles"... Et depuis je me questionne sur le rôle accordé à la Femme au sein de l’Église catholique, je me questionne non d’un point de vue féministe mais au nom de l’Éternel Féminin, de la Sagesse (que certaines femmes, telle la Béatrice de Dante, peuvent manifester). Je me demande où sont passées les prophétesses, écoutées et consultées par les papes (telles Hildegarde, Brigitte de Suède, Catherine de Sienne), où respirent les femmes mystiques (pas seulement dans les cloîtres)...
Je n’ai rien à ajouter ni à rectifier dans votre texte, puisqu’il est de votre appréciation. Simplement, il me semblait avoir bien insisté sur le thème de la compassion pour toutes les créatures à quoi mène la blessure au cœur, et sur l’humilité, l’effacement qui, pour moi, sont la finalité de la quête spirituelle. Mais surtout, j’espère que ce livre parle non de souffrance mais d’amour...
Bien à vous,
Jacqueline Kelen
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Réponse du 21 mai 2005
Chère Madame,
Merci beaucoup de votre sympathique lettre qui me rappelle l'importance que vous accordez à la compassion (votre livre contient de si belles pages à ce sujet !) ainsi qu'à l'humilité et à l'effacement.
Ma note de lecture tout juste expédiée, je m'étais aperçu que je n'avais pas accordé au premier de ces thèmes la place qui lui était due, et avais ajouté ceci : "La tendresse (…) éveille une compassion sans limites pour toutes les créatures, même les plus insignifiantes en apparence, dit l'auteur". Quant au thème de l'humilité et de l'effacement, je ne manquerai pas de l'introduire dans mon papier si je me décide à trouver (est-ce bien utile ?) un journal ou une revue pour le publier.
En me gratifiant d'avoir abordé votre ouvrage "d'un point de vue catholique", vous avez fait rire à mes dépens ma femme qui est protestante… Sans doute n'avez-vous pas entièrement tort, puisque je reste autant que possible solidaire des chrétiens dont je tiens l'essentiel de ce que je crois. Mais, comme vous et pour de semblables raisons, je me suis éloigné des doctrines et des pratiques de l'Église qui, surajoutées et accessoires, ont fini par supplanter l'évangile. Quelle misère aujourd'hui en ces demeures qui ont vu naître et ont abrité tant de vie et de richesses à travers les siècles !
Je vous rejoins à propos de l'ésotérisme et des fous de Dieu tels que vous les définissez, en amont de l'acception désormais commune de ces termes. Cependant, en reprenant le sens étymologique du premier, je dirai que la vie intérieure se nourrit plus, à mon sens, de nos engagements parmi nos semblables que de quelque gnose que ce soit - conviction relevant de mon vécu plutôt que de mon supposé catholicisme… L'histoire me paraît cruciale ; vous-même regrettez à juste titre la disparition des grandes prophétesses.
Cordialement à vous,
Jean-Marie Kohler
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Réponse à des remarques communiquées par téléphone
Oui, chère amie, votre première réaction est tout à fait compréhensible. Quand il est question de métissage, vous butez d’emblée contre les jugements souvent négatifs portés sur la couleur de la peau. Il faut bien reconnaître que le racisme, fort commun sous toutes les latitudes, semble d'abord se jouer au niveau de cette réalité biologique, qu’il s’agisse du langage ou des comportements. Je sais combien vous souffrez de la perception de votre couleur dans notre société.
Pourtant, la réalité biologique du métissage n'a aucune importance par elle-même en tant que telle. Ce n'est qu'à travers le regard que les autres portent sur elle, et à la faveur l'intériorisation de ce regard par les personnes concernées, que cette réalité biologique revêt une signification ; qu'elle peut devenir une source de souffrance ou peut au contraire être valorisée. La clé permettant de comprendre et de dépasser l'enfermement dans le biologique est de ce fait toujours culturelle et sociale, et elle ouvre sur la liberté en surmontant les représentations courantes.
En renvoyant à une dimension universelle, le court passage de cet article relatif au métissage religieux se prête aisément à une interprétation plus large. Dans le domaine des métissages, les phénomènes particuliers ne prennent leur signification qu'à travers les relations qui déterminent à la fois leur spécificité et leur rapport à ce qui les dépasse. Le métissage religieux n'a de sens que dans le contexte de l'ensemble des réalités métisses : c'est elles qui l'éclairent comme il contribue à les éclairer. La conclusion de l’article le montre bien.
La couleur de la peau est en soi interchangeable, et seuls comptent les critères retenus pour l'apprécier. Qu'est-ce que le métissage biologique s'il n'est pas situé dans les relations interethniques ? Qu'est-ce que le métissage interethnique en dehors de l’ensemble des relations sociales et culturelles ? Qu'est-ce que la culture quand elle n'est pas rapportée à la position particulière de l'humanité au sein des espèces vivantes ? Qu'est-ce que celles-ci coupées de la création ? Et que représente cette dernière sans la transcendance créatrice que chacun appellera comme il pourra ou voudra ?
J'arrête là ce survol à première vue trop vaste et gratuit, mais qui montre que les phénomènes ne prennent tout leur sens que dans leur environnement global. Puis-je vous proposer un petit devoir de vacances ? Essayez de réinterpréter, en fonction des questions ethniques et autres qui vous soucient personnellement, les perspectives esquissées à partir des présupposés de l'article qui a fourni l’occasion de cet échange. Vous avez la chance d'être métisse, mais pour que la chance soit la chance, encore faut-il l'aider un peu. "C'est comme ça, la vie...", dit votre fils du haut de ses deux ans !
Il va de soi que ces réflexions pourront vous paraître bien loin de votre vécu immédiat. Mais c'est au delà de l'immédiat que se trouvent les clés de compréhension du vécu. Y accéder peut exiger beaucoup de temps et de travail. Étant moi-même impliqué dans des relations interethniques, j’ai beaucoup réfléchi aux difficultés et aux richesses potentielles du métissage, mais il m'a fallu un demi-siècle pour seulement entrevoir ce que j'aimerais comprendre. Serait-ce une raison pour m'en tenir à ne vous parler que de ce que je n'ai pas compris il y a cinquante ans... ?
P.S. J'ai rencontré tout au nord de la Nouvelle-Calédonie un colon métis qui était noir comme du charbon mais se proclamait blanc : "Moi, le seul Banc du Nord ! " – à bon droit puisqu’il était perçu et traité comme un Blanc. Inversement, on trouve dans les villages mélanésiens nombre de métis parfaitement blancs mais qui se considèrent comme des Noirs, et qui sont perçus et traités comme tels. La couleur de la peau est secondaire dans cet archipel par rapport à la position sociale. Ailleurs, cela peut se présenter autrement. Mais d’une façon générale, dès lors que le social prime le biologique, la liberté humaine prime la fatalité.
Jean-Marie Kohler |
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Courriel de Henri Boulad, du 4 septembre 2009
Cher ami, Merci pour votre longue analyse de mes propos - analyse judicieuse et pertinente, pour laquelle je vous félicite et à laquelle je souscris, dans l'ensemble. Mon combat n'est pas tant un combat CONTRE l'islam ou l'islamisme, qu'un combat POUR l'homme. |
Courriel de Fabien Maeder, du 5 octobre 2009
Au-delà de la pertinence et de l’intelligence de votre démonstration, il reste une impression, une tonalité, une émotion. Quelque chose qui est comme l’esprit du texte et qui dit plus que ce qui est écrit. Et cette impression ne me met pas à l’aise, car elle procure un sentiment de culpabilité sans espoir de rémission. À travers les contradictions et les lacunes relevées dans les propos du Père Henri Boulad, vous faites un procès sans appel de l’Occident et du christianisme. Quoique je sois d’accord avec nombre de vos critiques et tout en ayant bien conscience du danger de l’amalgame entre Islam et islamisme, je pense que l’Occident n’a pas seulement besoin de réformer sa politique et sa géopolitique, n’a pas seulement besoin de s’amender (Georges Bush et quelques autres devraient être traduits devant un tribunal international pour leur rôle dans la guerre en Irak), mais doit aussi se méfier de l’Islam et de son expansion, au même titre qu’il doit se méfier de toutes les grandes idéologies religieuses. Je crois qu’il y a beaucoup de porosité entre Islam et islamisme, et ma grande crainte est que cette religion ne finisse par imposer sa culture. Soit l’Islam se sécularise et s'affadit comme le fit le christianisme au cours du dernier siècle, soit il constitue un danger. Et on pourrait dire la même chose du judaïsme.
Quant à l’islamisme en lui-même, il est aussi dangereux que le nazisme, et c’est même le nazisme du XXIème siècle. Il y avait beaucoup à critiquer dans les politiques menées vis-à-vis de l’Allemagne après la première guerre, mais combattre le nazisme était un moindre mal et l’urgence du moment. Le parcours et la pensée de Simone Weil entre 1939 et 1945 est très évocatrice de cette problématique. La comparaison peut paraître exagérée. Mais dans l’immédiat, l'islamisme se montre complice d'une volonté de destruction d'Israël. Il ne s'agit en l'occurrence «que» de l'État juif et non des Juifs, mais souvenons-nous que les premiers plans de Hitler visaient l'expulsion des Juifs hors d'Allemagne et non leur extermination, que les nazis avaient bénéficié de la collaboration du Mufti de Jérusalem, et que "Les protocoles des sages de Sion" sont en vente libre dans de nombreux pays arabes. L'islamisme a ceci de comparable au nazisme qu'il constitue une pensée totalitaire et que la politique est habitée par une pulsion religieuse.
Ce qui m’interpelle, c’est que vous semblez avoir davantage foi dans l’évolution de l’Islam vers plus de modération que dans la capacité de l’Occident et de son capitalisme à trouver la meilleure porte de sortie «possible» à l’impasse systémique dans laquelle se trouve l’humanité. Une impasse qui est plus physique qu’idéologique, et que traduit le rapport entre les ressources naturelles et la démographie (à technologie plus ou moins constante), sachant que l’homme aussi généreux soit-il cherchera toujours à vivre le mieux possible et n’est pas prêt à partager au-delà de certaines limites…Comme il y a chaque jour 200 000 personnes en plus sur une terre qui n'est pas extensible à l'infini, il y aurait beaucoup à dire sur le commandement biblique «Croissez, multipliez vous...»
Vous nuancez et relativisez les propos du père Boulad sur l’Islam, mais vous êtes beaucoup plus dur vis-à-vis de l’Occident, de son mode de vie et de fonctionnement. L’Occident et le capitalisme n’ont pas le monopole de la rapine et ne sont pas seuls responsables de la pauvreté et de l’injustice dans le monde. Par exemple, combien d’étrangers en provenance des pays en développement ayant reçu une formation de qualité dans le cadre des accords de coopération retournent dans leurs pays d’origine pour faire fructifier le savoir ainsi acquis au bénéfice de leurs compatriotes ? Certains restent en France et d’autres reproduisent la rapine chez eux. Ont-il été infectés d’un mauvais virus occidental, ou le mal est-il plus profond et plus complexe?
En tant que «néo-manichéen», je crois que le mal est plus profond (voir dans le premier chapitre de la République de Platon : Socrate propose une société basée sur la frugalité, mais l’hypothèse n’est pas retenue, car irréaliste), et c’est pour cela que je ne puis vous suivre dans votre manichéisme anti-occidental. En tant que «gnostique» je suis très méfiant vis-à-vis des super-organisations religieuses ou politiques. L’Islam, qu’il soit modéré ou pas, m’inspire une égale inquiétude, tout comme l’évangélisme américain ou le catholicisme, encore que le fondamentalisme islamique me semble devoir être combattu en priorité parce qu’il est plus violent et plus totalitaire pour l’instant. Mais vous, vous apparaissez beaucoup plus tolérant vis-à-vis de l'islam qu’à l'égard du christianisme en général et du catholicisme en particulier, et plus confiant dans son évolution.
Malheureusement, j’ai l’impression que le capitalisme mondial est fort bien capable de se marier à l’islamisme comme il l’a fait avec le communisme chinois. La gouvernance techno-mondialiste d’un côté et le fanatisme idéologique de l’autre côté semblent se donner rendez-vous. Au fond, c’est la fusion du totalitarisme systémique physique et du totalitarisme spirituel – la bête à deux têtes de l’Apocalypse ?
C’est à cette convergence et à cette fusion qu’il faut s’attaquer si on veut avoir l’espoir de guider l’humanité vers une économie de marché plus respectueuse de l’homme et de la nature. Mais on n’y parviendra pas par la haine de soi et le culpabilisme. Chaque culture, chaque civilisation, chaque pensée comporte ses dangers et ses dérives. Personnellement, je pense qu'il faut mettre l'accent sur ce que chacun apporte de positif dans l'histoire et essayer de créer une dynamique autour de ça.
Je pense que le discours au Caire d'Obama va dans le bon sens, à condition de résoudre le problème israélo-palestinien. Cela pourrait avoir de fortes incidences sur l'évolution de l'Islam et sur les rapports entre Occident et Orient. La clé semble là, autour de Jérusalem. Ville de la paix, non ? Sa destinée, espérons-le. |
Réponse à Fabien Maeder, du 6 octobre 2009
(...) Vous dirai-je que je ne suis pas certain que vous ayez bien regardé la vidéo du père Boulad que j'ai critiquée, ni que vous ayez lu mon article sans a priori ? Il est très possible que nos divergences soient effectivement aussi importantes que vous donnez à le penser. Mais de là à m'accuser de manichéisme antioccidental à propos de ma critique du capitalisme sauvage qui prévaut actuellement, cela me paraît gratuit et regrettable. Au reste, vous savez que mes recherches et mes combats ont des motivations plus constructives que la culpabilité que vous me prêtez, et que je n'ai de haine ni envers moi ni envers quiconque. Je pense effectivement que la colonisation a représenté une terrible entreprise de destruction et que notre domination se poursuit, y compris à travers la coopération dont vous parlez, mais je ne me résous pas à croire à une fatalité sans rémission.
Les appréciations positives figurant dans mon texte à propos de la foi chrétienne et de la civilisation occidentale semblent vous avoir échappé, or c’est précisément et d'abord pour préserver les valeurs de cette foi et de cette civilisation que je stigmatise les systèmes religieux et politiques qui les dévoient. Si j’ai tendance à être plus exigeant envers ce qui me tient à cœur qu’envers ce qui m’est étranger, c’est pour contribuer à sauvegarder ce qui m’est cher et non pour le condamner. Que l’évangile soit bafoué par les Églises qui s’en réclament me touche plus que les imperfections ordinaires des religions, et de l’islam entre autres. L'affadissement religieux dont vous vous félicitez n'est à mes yeux qu'une corruption des valeurs spirituelles, du message évangélique dans le cas du christianisme, et non un progrès. Et notre idéal de liberté, d'égalité et de fraternité ne doit pas se commettre avec les forces qui le nient.
Par ailleurs, je ne considère pas comme pertinent d'assimiler l’islamisme au nazisme. Il s’agit certes de deux idéologies totalitaires fort dangereuses, et des rapprochements sont toujours possibles. Mais les forces économiques et sociales en cause dans l’un et l’autre cas n’ont pas grand-chose en commun. L'islamisme doit être combattu comme le nazisme devait l'être, mais cela n'implique pas de le confondre avec l'Islam. Quant à l’annonce d’une alliance entre l’islamisme et le capitalisme sous le signe de la Bête à deux têtes de l’Apocalypse, n’est-elle pas quelque peu extravagante ? Je veux bien espérer avec vous qu'un jour nouveau se lèvera sur Jérusalem, mais cela ne s'annonce pas pour demain et les intérêts occidentaux épaulés par l'État d'Israël n'y sont pas pour rien. Enfin, je terminerai en notant que votre profession de foi de "néo-manichéen" et de "gnostique" peut également surprendre à divers titres. Pour ma part, je ne crois pas au Mal, mais je me fie au bien pour lutter contre les maux dont souffrent les hommes.
P.S. Un des derniers numéros du Courrier international a publié, sous le titre "Le mythe de l'Occident islamisé", une article tiré du Gardian dont je vous recommande la lecture.
Jean-Marie Kohler |
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Observations reçues en décembre 2008
Ta critique des pratiques liturgiques est si évidente pour moi que j’ai l’impression que tu enfonces des portes ouvertes... Mais je dois tout de même reconnaître que les portes sont plutôt verrouillées du côté de l’Église ! Dans ces conditions, la question que je me pose est celle-ci : à quoi cela peut-il servir ? J’ai tendance à penser que ta réflexion serait plus intéressante et plus novatrice si, au lieu d’une analyse extérieure portant sur les pratiques institutionnelles, tu te penchais davantage sur le vécu subjectif de la prière des fidèles. Tout bien considéré, ta démarche me paraît trop sociologique, et d’une sociologie objectiviste un peu dépassée. J’ajouterai que ce travail serait peut-être plus utile s’il débouchait – pourquoi pas ? – sur des propositions et des perspectives plus optimistes. Il est facile de tirer sur les ambulances ou les corbillards, mais...
À mes yeux, la liturgie ne constitue pas un problème abstrait, indépendant de la prière personnelle des fidèles, et tu sembles oublier qu’elle produit encore de la piété et des conversions malgré les défauts que tu dénonces. Ce qui me gêne le plus, c’est que ton texte ne parle pas vraiment de ce dont on aimerait qu’il parle : de ce qu’est la prière, de ce qu’elle apporte à ceux qui la pratiquent, et du réconfort que même son souvenir peut procurer. Tu n’en donnes même pas une définition. En réalité, n’est-ce pas ce qui se passe dans l’existence concrète des gens qui est de loin le plus important ? N’est-ce pas le rapport de la prière à ce qui est vécu en famille, au travail, dans les loisirs ? Il faut se méfier des émotions, me diras-tu peut-être, mais seul m’intéresse en fin de compte le bien et le mal qu'elles produisent dans l’existence personnelle et sociale. Et moi je te dirai qu’il faut aussi se méfier des idées ! Non seulement nul ne peut comprendre ce qui le dépasse, mais la sagesse invite parfois à renoncer à vouloir tout comprendre.
En allant plus loin – trop loin ? –, je me demande si tu n’es pas un peu intolérant. Ta démarche n’est-elle pas influencée, de loin et sans que tu le mesures, par la tendance au monolithisme et à l’hégémonie que tu critiques dans l’institution ? Il me semble qu’il faut admettre, jusqu’à un certain point au moins, la coexistence de conceptions diverses de la divinité et de la religion. L’histoire enseigne la prudence et la modestie dans ce domaine comme par ailleurs : les interprétations d’une même partition changent en fonction des possibilités du lieu et du moment. Comme tu l’indiques, chaque milieu privilégie les aspects qui correspondent aux questions concrètes qu’il se pose dans la situation où il se trouve. Personne ni aucune institution ne peut concevoir la vérité de façon intégrale et définitive. J’en conclus que l’Église est congénitalement diverse aussi bien dans l’espace que dans le temps, et ce jusque dans chaque milieu humain diversifié. Mais cela nous ramène à la relativité dont tu parles, et à la nécessité, pour l’Église, de la prendre réellement en compte – ce qu’elle ne fait pas.
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Réponse aux observations ci-dessus
Compte tenu de l’ampleur et des enjeux du sujet abordé, je comprends ton insatisfaction. Mais ton attente par rapport à ce texte était apparemment excessive. Mon objectif était plus modeste que les préoccupations sous-jacentes à tes observations. Je voulais seulement montrer que les pratiques liturgiques traditionnelles constituent aujourd’hui de plus en plus, par un grand nombre de leurs aspects et globalement en fin de compte, un obstacle à la mise en œuvre de leur raison d’être essentielle. Au lieu d’accompagner les fidèles dans leur vie de foi, elles finissent par en détourner beaucoup d’entre eux, et au lieu de témoigner de l’évangile, elles illustrent trop souvent des valeurs du monde qui lui sont opposées. Les perspectives que tu proposes esquissent en fait un autre sujet, d’une importance fondamentale, dont mon analyse ne constitue qu’un préalable en quelque sorte.
Sans doute aurait-il fallu essayer de définir la prière pour situer dans son contexte la liturgie qui constitue l’une de ses formes. Mais comment échapper aux généralités dépourvues d’intérêt dans un domaine aussi multiple et portant sur des relations aussi insaisissables ? Sans prétentions, la description des manifestations pratiques de la prière représente sans doute la démarche la plus féconde. Mais pour élucider ce qui se passe en amont de ces manifestations, la circonspection et la discrétion s’imposent. Personne n’est juge de la prière d’autrui, ne peut dire ce qu'elle représente précisément, et encore moins ce qu’elle vaut. Fondamentalement, la prière est ouverture à l’être transcendant ou immanent qui contient et dépasse l’existence de chacun et toute existence, dans un recueillement qui donne accès aux plus grandes richesses, ou à l'inverse dans le dénuement le plus absolu. Elle est attente d’un salut qui vient d’ailleurs, ou tout au moins d’une aide pour continuer à vivre ou pour se rouvrir à la vie dans la détresse. Elle surgit du silence habité par la parole qui fonde l’être humain, ou peut n’être que cri surgissant du désespoir – de là où l’intériorité s'est disloquée, où plus aucune parole ne semble pouvoir habiter ni pouvoir être entendue.
Pour certains, la prière constitue une rencontre personnelle et une conversation simple et claire avec un Dieu présent et secourable. Pour d’autres, elle est le désir d’une telle rencontre ou une simple attente au milieu d’une nuit où toute divinité paraît absente. Entre les extrêmes du ravissement et de la solitude, elle revêt mille formes. Elle peut être la bougie allumée au fond d’une chapelle par une dévote bavarde ou par un incroyant qui ne sait que penser et ne dit rien. Ou l’émotion ressentie au-dessus d’un berceau, près du lit d’un mourant, devant un visage resplendissant de liberté, comme devant un autre désespérément fermé. Elle peut être l’enthousiasme devant l’immensité et la beauté de la nature, l’étonnement devant les créations de l’homme – modestes outils ou splendides cathédrales, gravures rupestres ou symphonies –, ou la perplexité face à l'incompréhensible dimension de l'univers. Elle peut être le travail lui-même, manuel ou intellectuel, le labeur de tous ceux qui peinent sur les chemins de la vie et de la vérité. Et les célébrations d’une juste et heureuse liturgie ont vocation à rassembler toutes ces prières, quelles qu’elles soient, et à les proposer en partage dans la foi. S'y retrouvent non seulement la Loi et les prophètes, l’évangile du rabbi de Nazareth et les croyances enfantées dans son sillage, mais aussi tout ce que l’homme a produit et continue à produire de meilleur.
Pour ce qui est du vécu subjectif de la prière, j’ai insisté à plusieurs reprises sur les bienfaits que les pratiquants traditionnels ont le sentiment de retirer des célébrations liturgiques classiques, et il est évident que prendre en considération les besoins de ces fidèles s’impose. Mais s’en tenir à ce constat serait pécher doublement. Conforter le statu quo conduit à scléroser la foi – y compris celle des partisans du statu quo –, et c’est la condamner à être de moins en moins transmissible – jusque dans les milieux attachés à ce statu quo eux-mêmes. On pourra certes continuer à dire la messe dans des églises désertes et imaginer l’avenir du christianisme à travers l’image gratifiante du « petit reste d’Israël », mais n’est-ce pas là une consolation fallacieuse et un faux-fuyant ? Quant à la médiatisation à outrance de la religion qui est de plus en plus recherchée et valorisée, elle ne pèse que le poids de ses illusions. Je ne minimise pas les émotions que de telles expériences peuvent susciter, mais je crois qu’il faut se garder de les apprécier à leur seule utilité subjective ou sociale immédiate.
Bien sûr que les responsables ecclésiastiques ont le devoir de gérer l’héritage reçu pour en transmettre les promesses, mais cela ne se peut que s’ils se tournent résolument vers l’avenir. L’urgence est aujourd’hui grave et manifeste. Pour essayer d’éviter que l’effondrement religieux en cours ne s’accélère, s’accompagnant d’une regrettable dérive vers des formes sectaires, l’Église doit trouver le courage de se regarder en face dans le miroir que lui tend la société qu’elle veut servir. De fait, si elle pouvait voir l’image qu’elle présente effectivement au public non averti, elle en serait atterrée. Et sans doute ne manquerait-elle pas de remettre en question les formes obsolètes qui l’enferment dans son passé, et s’efforcerait-elle de renaître à partir de ce qui reste de vie en elle. Mais comment la convaincre de se soumettre à l’épreuve de ce miroir alors qu’elle ne se conçoit qu’à travers une idéologie qui la sublime ? En attendant, ne pas déserter, mais demeurer fidèle aux valeurs reçues de l’Église, combattre ceux qui la flattent et l’incitent à se dévoyer, telle est l’unique réponse à cette question, telle est la seule et difficile voie qui s'offre au croyant.
Au reproche d’être trop négatif dans mon analyse, je répondrai en transposant un propos de Claude Lévi-Strauss relatif aux menaces qui pèsent sur la survie de la planète : « C’est à la condition d’être très pessimistes que nous prendrons conscience des dangers qui nous menacent. C’est à la condition d’être très pessimistes que nous aurons le courage d’adopter les solutions nécessaires et que, donc, nous pourrons recommencer d’avoir une certaine dose d’optimisme, disons, très modérée. » La foi peut garder le croyant du pessimisme, mais elle ne saurait le dispenser de l’indispensable lucidité que commandent les difficultés que rencontre le christianisme. De même que cette religion a disparu de l’Afrique du nord où elle a été florissante durant des siècles, elle peut aujourd’hui disparaître des pays de la défunte chrétienté... Je comprends ceux qui me demandent des propositions concrètes en m’objectant que la critique est facile tandis que l’art est difficile, mais je pense qu’il n’est pas indiqué de se précipiter dans cette direction en faisant l’économie d’une prise en compte lucide de la situation actuelle. Certes, pas plus dans ce domaine que par ailleurs, il ne convient d’attendre l’irruption d’un improbable « grand soir » pour changer ce qui peut l’être. Mais il faut s’interdire d’occulter les problèmes de fond par des aménagements de surface qui ne sont que des leurres.
Jean-Marie Kohler |
Lettre du 5 janvier 2009 à un ecclésiastique offusqué par les remarques relatives au Notre Père, mais plutôt interessé par le reste de l'article.
Cher Père,
Je vous remercie très sincèrement pour la rigueur et la sympathie des observations que vous avez bien voulu me communiquer à propos de la première partie de mon texte sur la liturgie.
Croyez que je regrette de ne pas avoir réussi à présenter ma réflexion de façon plus acceptable, et pardonnez-moi de vous avoir offusqué avec certains passages. Je comprends d’autant mieux votre réaction que j’ai moi-même dû, comme souvent quand il s’agit de religion, me faire violence pour avancer dans mon analyse. Les questions abruptes que soulève l’évolution contemporaine heurtent en moi aussi un héritage que je considère comme des plus précieux. C’est l’Église qui m’a transmis les valeurs qui me sont les plus chères, et je crois qu’elle seule – dépassant infiniment les institutions dans lesquelles elle s'incarne – peut continuer à les transmettre. Mais c’est précisément parce que je suis attaché à cet héritage du fond de mon être que crois devoir m’interroger à son sujet, afin de pouvoir en vivre, en témoigner et contribuer à sa transmission. Au reste, comment ferais-je pour rester sourd aux questions qui nous pressent de toutes parts, là où l’indifférence n’a pas encore submergé les consciences ? De même que le christianisme primitif a quitté la synagogue pour s’ouvrir aux païens, l’Église d’aujourd’hui devrait sans doute renoncer à bien des choses qui l’encombrent, matérielles et symboliques, pour retrouver nos contemporains dans leurs recherches et leurs combats.
La hiérarchie résiste à le reconnaître, mais il est évident que la religion a radicalement changé de statut avec la sécularisation. En s’accrochant à ses représentations anciennes, l’Église se rend incapable d’imaginer un avenir inédit. Après avoir constitué une dimension essentielle de la totalité de la vie sociale, la religion se réduit désormais de plus en plus à des activités cultuelles privées. Le clergé, dépouillé des fonctions idéologiques et pratiques de première importance qu’il assurait autrefois, se trouve confiné dans les rites dont il se réserve l’apanage et par lesquels il se définit. Limité par cet horizon restreint, le sacré tend à se conserver en vase clos ou, pire, cherche à se reproduire à partir de lui-même au lieu de partager la vie des hommes. Les institutions qui s’en veulent les dépositaires le mettent à l’abri dans des tabernacles coupés du monde et s’y verrouillent elles-mêmes à leur insu. Enfermé dans les sanctuaires, l’évangile qui a révolutionné l’humanité étouffe et se chosifie entre des statues et des cierges. La figure du ressuscité est inlassablement embaumée et encensée comme une relique, mais la plus grande aventure de l’histoire humaine s’enlise dans des pratiques religieuses surannées. Ne faut-il pas d’autres audaces pour accueillir le don de Dieu que représente l’incarnation continue du Corps du Christ dans le monde ?
La sécularisation paraissant irréversible dans la logique actuelle des choses, les projets de restauration qu’affectionnent les nostalgiques sont non seulement illusoires, mais néfastes – sans doute en conviendrez-vous. L’avenir de la foi n’est donc pas à subordonner à une hypothétique reconquête de l’ancienne influence sociale des Églises, mais il devra se construire à travers l’histoire des hommes d’aujourd’hui et de demain – quelles qu’en soient les contradictions –, au service effectif de l’humanité. Partant de là, je suppose que la discordance de nos points de vue, si l’on peut appeler cela ainsi, relève plus de la différence de nos positions dans l’Église et dans le monde que d’un désaccord de fond. Le prêtre voit d’abord les fidèles qui l’entourent, leurs aspirations et leurs besoins, et c’est d’eux qu’il s’occupera prioritairement dans l’espace intra muros où il se trouve placé par l’institution ecclésiastique. Sans méconnaître l’importance de ce travail, j’ai quant à moi le regard davantage tourné vers l’extérieur, vers les tâches qui nous attendent extra muros pour faire advenir Dieu parmi les hommes. N’est-ce pas plutôt là que se situent les urgences les plus criantes et que – oserai-je l’ajouter ? – Dieu aime le plus à se révéler aujourd’hui ? Peut-être ne reconnaîtrons-nous à nouveau son visage que dans ses reflets sur les visages des autres ...
Merci beaucoup de vous préoccuper de l'impossible problème de la parution de mes textes. Celui portant sur le miracle de la résurrection au quotidien n'a pas eu l'heur de plaire en milieu catholique – où, comme vous vous en doutez, je ne suis pas en odeur de sainteté –, mais il paraîtra dans le numéro de Pâques de la revue « Évangile et liberté » (qui avait déjà publié mon « Oraison pour survivre aux cérémonies religieuses »). L'article sur la liturgie est évidemment impubliable dans le contexte actuel de notre sainte Église. Comme d'autres textes qui l'ont précédé sur Internet, il aura bénéficié de tous mes soins pour connaître le sort des bouteilles à la mer... À Dieu vat ! disent les marins.
J 'espère que cette lettre n'aggravera pas mon cas à vos yeux..., et que nous trouverons bientôt l'occasion d'en reparler de vive voix,
Jean-Marie Kohler |
Extrait d'une lettre du 17 février d'un ecclésiastique, à la suite d'un entretien ayant porté sur l'article traitant de la liturgie et sur quelques autres pratiques de l'Église.
Il reste que votre attitude me paraît excessivement négative et destructrice. Je ne vois pas par quoi vous remplacez ce que vous écartez. Et quels services rendez-vous dans la communauté du village où vous habitez ? Un intellectualisme stérile est stérile, c'est-à-dire se réduit au néant. Je souhaite un retour au modeste bon sens de toute organisation sociale, que ce soit celle du peuple religieux ou du peuple civil. |
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Échanges se rapportant à « La question missionnaire - Incertitudes et perspectives » |
Article paru dans le courrier des lecteurs du "Ralliement protestant" de mai 2008
Pour une Mission en marche
Après la lecture de l’article de Mme Jacqueline Kohler dans le dernier Ralliement : « La question missionnaire, Incertitudes et perspectives », on n’a qu’une envie, rester bien au chaud dans sa petite paroisse en se lavant les mains de la Mission au loin comme au près. Cela est d’autant plus regrettable que, dans une époque de plus en plus matérialiste et égoïste, nous avons de plus en plus de mal à motiver les paroisses autour de la question missionnaire.
Ayant participé à un échange pastoral en Zambie, l’un des pays les plus pauvres du monde, je suis parti les mains complètement vides, sans promesses financières pour un projet de développement mirifique.
Malgré cela, j’ai été accueilli à bras ouverts comme un simple chrétien qui vient voir d’autres frères et sœurs. Et lors de mon culte de départ, les paysans locaux, qui souvent ne peuvent manger qu’un jour sur deux, m’ont donné de l’argent pour les pauvres de ma paroisse... Tous les envoyés du DEFAP pourraient aussi témoigner que la Mission actuelle n’est pas uniquement par des relations intéressées basées sur l’argent.
Il est vrai qu’en cinquante ans nous sommes passés d’une mission très agressive et dominatrice culturellement à une Mission que l’on pourrait qualifier d’humanitaire. La Mission moderne est peut-être devenue plus modeste, plus simple : elle veut simplement accompagner les gens dans leur combat pour la dignité humaine et leur lutte pour accéder à la liberté des enfants de Dieu, comme le Christ ressuscité qui marchait au côté des disciples d’Emmaüs en partageant leurs soucis et leurs questions.
Pasteur Fabrice BENOIT, Illzach,
Délégué de l’Union des Églises Protestantes d’Alsace-Lorraine
au Conseil du DEFAP, services des Missions
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Réponse dans le même mensuel en juin
Quelle bonne nouvelle pour aujourd’hui ?
Réponse au pasteur Fabrice Benoît
Qui comprendra que mon article intitulé « La question missionnaire » n’ait inspiré au pasteur Benoît « qu’une envie, dit-il : rester bien au chaud dans sa petite paroisse, en se lavant les mains de la Mission au loin comme au près » ? Heureusement que son expérience missionnaire en Zambie a été plus gratifiante – pour lui tout au moins !
Parti « dans l’un des pays les plus pauvres du monde, les mains complètement vides et sans promesses financières pour un projet de développement mirifique » (sic), il en est revenu avec « de l’argent pour les pauvres de sa paroisse, donné par des paysans locaux qui souvent ne peuvent manger qu’un jour sur deux » (collecté pour Dieu et aux dépens des leurs, à l’initiative de leur Église) ! Á quand le prochain voyage ?
Des miracles comme celui relaté par notre missionnaire se produisent en effet, car les pauvres sont souvent plus généreux que les nantis. Mais cela n’autorise personne à en abuser, ni à arguer de cette générosité pour occulter l’ambiguïté des pratiques institutionnelles de bien des Églises – et les problèmes de fond que cette ambiguïté entraîne. Or il a échappé à mon censeur que c’est de ces problèmes-là, et non du contenu affectif des relations interpersonnelles, que traitait mon article, dans une optique à la fois historique et actuelle. Les visées socioreligieuses de l’Église très hiérarchisée qu’il a visitée en Zambie ne l’ont apparemment guère interrogé..., et l’humanitaire fournit une couverture des plus commodes pour le meilleur et pour le pire.
« Annoncer l’évangile dans le monde actuel n’est pas d’abord une affaire de dogme ou de culte, ai-je écrit, mais une affaire de justice et d’amour qui oblige au combat. » L’avenir de la foi chrétienne se joue de moins en moins dans les sanctuaires, mais sur les terrains où la Parole redonne vie aux hommes terrassés par la multiple violence de l’iniquité qui déchire l’humanité. Aux antipodes de toute forme de routine paroissiale comme de tout prosélytisme religieux, l’exigence évangélique de changer le monde interpelle les Églises d’ici et d’ailleurs : trop souvent obnubilées par leur propre survie, leur propre confort et leur propre gloire, il leur faut d’abord se changer elles-mêmes. C’est dans cette perspective-là, au service des hommes, que se situe aujourd’hui, selon moi, le chantier le plus urgent pour les Églises et pour la théologie.
Comment donc, cher pasteur, avez-vous pu vous sentir invité à « rester bien au chaud dans votre petite paroisse », alors que mon article rappelle avec force que les quatre cinquièmes de l’humanité meurent de faim en attendant en vain la bonne nouvelle d’une délivrance ? La morosité et l’effritement de nos Églises, ainsi que l’étiolement de l’esprit missionnaire qui s’en suit, ont des causes plus immédiates et plus profondes que l’égoïsme et le matérialisme contemporains que vous dénoncez. Il ne suffit plus, désormais, de prêcher et de bâtir des temples, ni d’échanger de bons sentiments qui ne coûtent rien, ni de distribuer quelques subsides ponctionnés sur nos superflus, et encore moins de promouvoir des formes inédites de tourisme spirituel entre le Nord et le Sud. Il faut radicalement repenser le christianisme et s’engager en conséquence, car la bonne nouvelle attendue dans les HLM et les banlieues proches comme sous les tropiques les plus lointains est tout autre – incontournable évidence – que les sermons à usage interne qui se répètent inlassablement dans nos temples de plus en plus vides...
Jacqueline Kohler |
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Échanges se rapportant à « Pauvreté évangélique et justice sociale » |
Courriel reçu le 6 décembre 2007 (...) Pour ce qui concerne votre article, je suis d'accord sur les grandes lignes : sans justice sociale, ce n'est même pas la peine de parler de salut ; mais il faut faire attention à ne pas avoir une lecture trop rapide de l'histoire de l'Église sur cette question. En plus, je récuse, comme seule alternative, la richesse qui serait un vice et la pauvreté qui serait une vertu ; je crois en la pertinence de l'éthique réformée et sa notion, malheureusement trop oubliée, de frugalité. |
Réponse (7 décembre) Assurément, la richesse n'est pas un vice, la pauvreté n'est pas une vertu, et la frugalité est éminemment chrétienne quand elle est inspirée par l'évangile. Je suis entièrement d'accord avec vous et avec l'éthique réformée sur ces points, et je récuse comme vous l'alternative que vous évoquez. De fait, la pauvreté qui se transforme en misère pousse plus que jamais au mal, et beaucoup de miséreux deviennent dangereux. Mais peut-être m'accorderez-vous que la convoitise des richesses pousse également au mal, et que beaucoup de riches sont aujourd'hui d'autant plus dangereux qu'ils s'accommodent de l'iniquité régnante et ne cessent de la renforcer à leur profit en usant de leur puissance. Question : les responsabilités des uns et des autres sont-elles comparables ?
J.-M. K. |
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Échanges se rapportant à « Marchandisation du monde et ambiguïté des positions chrétiennes » |
Courriel reçu le 18 octobre 2007
(...) Je ne suis pas convaincu que l’argent représente, comme tu le laisses entendre, une fin en soi pour les puissants. À mon avis, ils agissent avant tout selon la détermination fondamentale que constitue la volonté de domination. L’argent en est aujourd’hui le premier facteur, mais sans plus. Le vrai problème résulte surtout du fait qu’il n’existe plus de contre-pouvoir depuis l’abdication de la classe moyenne. (...)
Les classes moyennes sont-elles vraiment condamnées à être laminées dans les nations favorisées ? J’ai plutôt l’impression que la classe des nantis assoit ses privilèges en s’assurant de la coopération, plus ou moins passive et plus ou moins consciente, de la classe moyenne. Les puissants l’ont bien compris : le pauvre se révolte, mais c’est le bourgeois qui fait la révolution. C’est donc de la coopération de ce dernier qu’ils tiennent à s’assurer.
Tu as relevé que l’Église est avant tout une organisation sociale, et qu’elle agit d’abord en tant que telle. L’essentiel de son message ne joue, dans ce cas, qu’un second rôle. On peut et on doit le lui reprocher. Mais on ne peut pas attendre d’un solide qu’il se comporte comme un liquide – sauf dans de rares situations extrêmes qu’il quittera très vite par inconfort !
Pour « renaître », il faut d’abord mourir. Or l’Église en tant que corps social ne veut absolument pas envisager de mourir alors même qu’elle est peut-être, depuis quelque temps déjà, plus ou moins morte en tant que force spirituelle... Je me demande si l’effacement de l’Église institutionnelle ne constitue pas le prix à payer pour que le message évangélique puisse de nouveau s’entendre. |
Réponse (18 octobre)
(...) Je suis d’accord avec toi sur le fait que l’argent n’est rien en soi, et que c’est bien le pouvoir que les puissants recherchent à travers lui. L’or n’est que du métal, le papier n’est que du papier, et les listings électroniques sont moins encore... L’argent n’est qu’un outil : symbole matériel représentant certains biens lors des échanges dans les économies rudimentaires, ou instrument majeur de la manipulation sociale à travers l’économie dans les sociétés capitalistes. Mais je me demande si cet instrument de domination n’est pas, dans la conjoncture actuelle, en train de muter : s’il ne glisse pas de son statut d’instrument dépendant vers une position hégémonique où il tend à fonctionner de façon quasi autonome. Dans notre société unidimensionnelle, le capital ne se réduit plus simplement aux divers capitaux qui le composent sous la direction de ceux qui les possèdent. Ne se passe-t-il pas pour l’argent ce qui semble se passer pour la technologie : une évolution qui s’apparente de plus en plus à une folle fuite en avant, à la fois virtuelle et réelle, que plus personne ne peut contrôler – pas même les puissants ?
J’aurais dû être plus précis en disant que les classes moyennes sont en voie d’être laminées dans les pays favorisés. Entre les plus pauvres et les plus riches, il subsiste évidemment toujours des couches sociales moyennes – et même d’autant plus nombreuses que les autres catégories tendent à diminuer (du moins les plus riches). Mais si la classe moyenne se caractérisait autrefois par une certaine unité, fondée sur des conditions d’existence et des intérêts communs ainsi que sur une conscience de classe partagée, il n’en est plus ainsi. Le système dominant est parvenu à faire en sorte que la classe moyenne se délite en couches moyennes disparates, appauvries et affaiblies par rapport à la classe privilégiée, et cependant solidaires du projet social capitaliste. Ayant tendance à identifier leurs intérêts à la croissance de l’économie en place, les couches moyennes ne forment plus une classe sociale spécifique capable de se mobiliser pour renverser le système établi, et la classe dominante a même réussi le tour de force de persuader une large part des plus pauvres qu’il est avantageux pour eux d’adhérer à ce système. Rationalisation et propagande sont mobilisées pour désamorcer les mouvements de révolte et de révolution.
Concernant l’Église en tant qu’institution sociale, tu as raison de souligner qu’il serait naïf de s’attendre à ce qu’un solide se comporte comme un liquide. Il n’en reste pas moins vrai qu’une institution – famille, association, société religieuse ou politique, etc. – ne se réduit pas à ce que lui commandent ses seuls besoins et intérêts immédiats, mais qu’elle comporte aussi, en général, des visées idéologiques qui portent au-delà de l’utilité immédiate. Pourquoi alors ne pas rappeler à l’Église ce qui, en deçà de ses formes institutionnelles, constitue sa raison d’être essentielle ? Oui, l’Église doit mourir si elle veut renaître, il faut le rappeler aux traditionalistes qui étouffent les possibilités d’avenir en se battant autour du cadavre mort d’un christianisme dépassé. Mais attention tout de même à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Cette Église qui a transmis l’évangile et les valeurs chrétiennes depuis deux millénaires n’a pas toujours été meilleure que celle d’aujourd’hui, et nous avons la chance d’avoir pu recevoir, grâce à elle et malgré ses carences et ses crimes, l’essentiel du message chrétien. Comment allons-nous léguer cela à nos enfants et petits-enfants ? La question est d’autant plus préoccupante que des bouleversements profonds et irréversibles se succèdent à un rythme effréné et sans précédent, balayant les structures sociales qui ont vaille que vaille assuré la transmission des valeurs dans le passé.
J.-M. K. |
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Courriel reçu le 5 octobre 2007
Bonsoir M. Kohler,
J'ai lu et relu votre texte concernant le livre de Pierre Vilain intitulé « L’avenir de la terre ne tombera pas du ciel ».
De fait, il est bien "vilain", cet auteur qui a choisi un titre aussi désenchanté et aussi désespérant, qui laisse tout le poids d'une crise culturelle et économique majeure sur les épaules des pauvres humains et d’eux seuls. Cela dit, je souscris largement à l'analyse qui y est faite, tant en matière de critique ecclésiale que socio-économique. Mais j’ajouterai, cela me paraît important, que l'attention au problème de la pauvreté peut inviter à opter pour la décroissance, perspective assez stimulante qui pourrait enclencher une dynamique salutaire.
Au premier abord, j’évoquerai une alternative banale. Soit l'humanité s'en sortira par un saut technologique considérable qui profitera à toute la terre. Soit il faut espérer, avec les témoins de Jéhovah et d’autres, que Dieu libérera le monde du mal inhérent à notre système économique qui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.
Mais il est plus vraisemblable que l'humanité se trouve à la veille de bouleversements de plus en plus dramatiques : maladies, famines, guerres, révolutions, etc. Ce n'est pas nouveau et comme dit l'Ecclésiaste : « Vanité de vanité, il n'y a rien de neuf sous le soleil ! »...
L'avenir de la terre ne tombera pas du ciel, soit ! Mais je crois que l’avenir spirituel de chacun de nous dépend de notre lien avec le ciel. Nous sommes tous de pauvres pécheurs, tous plus ou moins bourreaux et victimes, tous plus ou moins rouages d'un système monstrueux. C’est pourquoi je souscris entièrement à la position luthérienne qui affirme que seule la foi sauve. Mais je trouve que les Églises ont un peu perdu leur âme en naturalisant trop le message christique, et en donnant la priorité au social sur le spirituel. La meilleure façon de réifier et de marchandiser l'être humain, c'est de lui enlever toute notion de transcendance, par exemple en unidimensionnalisant le message du Christ par une survalorisation du message social de ce prophète.
Ce que je regrette surtout dans le propos de M. Vilain, c'est qu’il semble oublier que Jésus, loin de combattre la pauvreté, y invitait expressément parce que la richesse spirituelle doit l'emporter sur tout le reste, et que vivre en Dieu rend l'homme plus fort face à l'adversité et au malheur. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas nécessaire de lutter contre l'injustice. Pour ma part, je suis plus sensible au combat contre l'injustice qu’à celui contre la pauvreté, et je trouve un peu réducteur de focaliser sur la seule pauvreté l'attention due à l’ensemble des vertus. « Des pauvres, il y en aura toujours » a dit Jésus, comme pour dire qu'il ne faut pas oublier l'essentiel.
Bon week-end, Fabien Maeder |
Réponse (8 octobre)
Merci, Fabien, de vos observations sur mon dernier papier.
Je pense comme vous que le salut ne viendra ni d'un saut technologique ni de Jéhovah. C'est à l'homme et à l'humanité qu'il revient de faire face à l'avenir. Alors ? Pauvres humains, certes ! Mais néanmoins démiurges et non pas seulement "rouages", créateurs libres et responsables dans la mesure où, habités par Dieu, les hommes sont capables de s'opposer à la fatalité et de faire advenir un monde nouveau chaque matin. Vaines paroles sous le soleil, me direz-vous à la suite de Qôhèlet ? Il ne s'agit pas d'éradiquer le mal, bien entendu, car ceux qui ont cédé à ce délire ont multiplié les maux par mille. Mais il est possible d'opter au jour le jour et à ras de terre pour la bienveillance contre la violence, pour la vie contre la mort. Loin de se dissoudre dans la vanité des vanités de l'Ecclésiaste, ce choix offre une lumière inédite chaque fois qu'un être naît ou renaît, chaque fois que le soleil se lève dans un cœur.
Oui, nous sommes tous, hélas, "plus ou moins bourreaux et victimes", et ce plus que jamais dans notre monde marchandisé à la solde des cyniques. Mais notre grandeur nous vient d'ailleurs, d'un au-delà du "système monstrueux", et vous avez raison d'invoquer ici la transcendance pour échapper au laminoir de notre société unidimensionnelle. Encore faut-il s'interroger sur ce que l'on entend par là. Pour ma part, je ne crois pas à la possibilité d'accéder directement et individuellement à la transcendance par la seule " foi qui sauve" chère à la tradition luthérienne stricte, ou à la faveur de savoirs réservés ou d'expériences mystiques exceptionnelles comme en proposent la gnose et l'ésotérisme... Ce n'est qu'au niveau où l'amour agit dans le monde que l'homme peut trouver la voie vers la transcendance, me semble-t-il. Tout se joue dans la relation, et hors d'elle je n'ai trouvé, dans ma propre vie, que solitude et orgueil stérile.(...)
Pour ce qui est de vos observations sur les rapports entre la pauvreté et les autres vertus, elles me paraissent importantes et recoupent diverses réflexions formulées par ailleurs. Je vais donc essayer d’y répondre de façon un peu approfondie – cf. « Pauvreté évangélique et justice sociale ». En une phrase, je dirai que la pauvreté sans la vertu de pauvreté n’est que malheur, et que la vertu de pauvreté sans le combat contre l’injustice subie par les pauvres n’est qu’illusion. Et pour terminer, je puis vous assurer que Pierre Vilain ne mérite pas le reproche que vous lui faites à la fin de votre message – peut-être ai-je gauchi sa pensée en la rapportant ?
Cordialement à vous, J.-M. K. |
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Échanges se rapportant à « Oraison pour survivre aux cérémonies religieuses... » |
Courriel reçu le 1 novembre 2007
Bonjour,
À la lecture de votre article paru dans "Évangile et liberté", qui dénonce la désuétude, la platitude, l'idolâtrie de certaines cérémonies religieuses, je me suis fait la réflexion suivante :
Vous employez dans votre article à six reprises le terme "Seigneur" qui évoque pour moi un personnage enfermé dans un château fort, très autoritaire, entouré de fidèles vassaux et surtout de nombre de serfs pour subvenir à ses besoins, un peu paternaliste dans le meilleur des cas. Est-ce la personnification que l'on veut donner de Dieu en 2007 ? Ne serait-il pas temps de se débarrasser de ces anthropomorphismes moyenâgeux ?
Je ne crois pas non plus que le "Créateur" m'ait fourni mes cinq sens. Il s’agit là encore d’un terme douteux : voir le chapitre 2 de la Genèse – Dieu met de l'ordre, donne une signification aux choses et aux êtres, mais ne crée pas !
Alors, oui ! Changeons, actualisons, faisons-nous comprendre de tous, et débarrassons-nous de ce "décor vieillot qui suinte l'ennui"! (...)
Cordialement, Yvan Robert-Garouel |
Réponse (3 novembre)
Merci, cher monsieur, de votre message.
Vous avez raison de souligner le caractère impropre, pour désigner Dieu ou le Christ, de l'expression "Seigneur" que j'ai utilisée à six reprises ; et de rappeler que nos cinq sens – d'autres civilisations en comptent davantage ou moins – ne nous ont pas été attribués au sixième jour de la création par un Créateur conforme à ce que le catéchisme nous a appris. Non seulement le vocabulaire religieux est usé parce qu'on en a beaucoup abusé, mais surtout il est en grande partie issu de conceptions obsolètes au regard des connaissances contemporaines, et il continue à les véhiculer. De plus, il sert à asseoir des systèmes de pouvoir ecclésiastiques et profanes qui n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. Il nous faut par conséquent veiller scrupuleusement au contenu verbal de ce que nous avançons pour rendre compte de la foi dans le contexte post-moderne.
Ceci étant dit sans réserve, je ne vais pas chercher à me justifier et encore moins à réintroduire par une fenêtre ce qui est à balayer par la porte. Je ferai cependant trois remarques.
L'oraison publiée par "Évangile et liberté" n'est que l'introduction d'une réflexion plus développée sur l'inadéquation actuelle du culte. Empreinte d'humeur et d'humour, c’est à dessein qu’elle a été formulée dans le genre littéraire des oraisons, de manière à interroger les adeptes de la liturgie traditionnelle. Mais, m'objecterez-vous, le développement qui la suit contient également des anthropomorphismes ! Et là, nous nous trouvons confrontés à une énorme difficulté.
Il ne suffit pas, vous le savez, de trier le vocabulaire, de remplacer certains mots par d'autres ou d'inventer des mots nouveaux pour produire un langage exprimant l'évangile pour notre temps. Les premiers chrétiens n'ont-ils pas déjà eu beaucoup de mal à dire la résurrection ? C'est la théologie tout entière qui est à repenser aujourd'hui, et il me semble évident que les textes bibliques ne suffisent pas à fonder cette entreprise – c'est pourquoi je suis moins sensible que vous à l'argument que vous tirez de Gen. 2, magistralement contredit par Gen.1,1...
Dernière remarque : à exiger une rigueur linguistique excessive, on risque de se faire des illusions sur ce que le langage peut appréhender et d'appauvrir jusqu'à l'essentiel du message - voire, à la limite, de ne plus pouvoir dire quoi que ce soit. Comment parler de Dieu si ce n'est avec les concepts et le langage des hommes ? Dans l'incapacité congénitale et irréparable d'embrasser le mystère de l'homme, et à plus forte raison celui de Dieu, tout ce que nous pouvons dire à leur sujet transite nécessairement par des formulations relatives, imparfaites et provisoires. La parole dépasse le langage qui la porte comme la poésie dépasse la grammaire ou la syntaxe, comme l'amour dépasse les définitions qui en sont données.
Bien que je partage votre souci de refuser le laxisme en matière de langage religieux et que je m'efforce de contribuer au renouveau qui conditionne la crédibilité de la foi auprès de nos contemporains, je cherche encore comment dire Dieu, le Royaume des cieux, et de nombreux autres mystères qui m'ont été transmis par le christianisme... C'est ensemble, en étant attentifs et créatifs en même temps que fidèles à la parole reçue, que nous ferons les progrès qui urgent, et je suis content de savoir que nous sommes de plus en plus nombreux à nous en préoccuper.
Très cordialement à vous, J.-M. K. |
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Autre courriel reçu le 1 novembre 2007
Êtes-vous en colère, l’ami Kohler ?
Il n’y a pas de quoi, à mon avis.
Cela fait des années que ma femme et moi lisons chaque matin un passage ou deux de la Bible – les textes du jour –, que nous allons au culte le dimanche, que nous faisons une prière d’intercession chaque soir pour ceux qui nous sont chers – famille, détenus, malades.
Pour sûr qu’il y a peu de moments aussi emmerdants que le culte, mais motus ! Ma femme s’en doute, mais ce ne serait pas sympa de le souligner !
Je sais que ma femme est heureuse que je sois à côté d’elle au temple. Elle passe assez de temps chaque jour en courses, cuisine, lavage pour que je lui donne avec joie une heure et demie le dimanche. C’est tout simplement de l’affection, ou de l’amour – depuis 59 ans ! Dans ces conditions, le culte ne menace ni ma foi, ni mon désir d’aimer, ni mes correspondances avec mes frères en taule... Avec un stylo-bille et du papier, je peux passer le temps sans trop subir ce qui ne m’intéresse pas...
Dans le fond, il me semble que chercher à l’extérieur de nous un dieu n’est pas du tout évangélique. Jésus n’a invoqué aucun dieu, et c’est à juste titre que les Romains, qui étaient de sacrés légistes, ont accusé les chrétiens d’être athées. Le « theos » grec et le « deus » latin ne sont que des êtres imaginaires dotés de pouvoirs exorbitants qui, comme les hommes et les animaux, sont difficiles à assouvir et se chamaillent sans fin... Aussi chaque personne doit-elle être libre de croire ce qu’elle veut. J’aime assez ce propos d’un ouvrier belge du début du siècle dernier : « Ne croyez pas en celui qui vous parle de dieu si son intention est de vous convertir. Si vous respectez toute croyance et pareillement celui qui n’en a pas, vous savez – malgré votre ignorance – bien plus que ce qu’il peut vous dire. »
Toutes les maisons où les croyants se rassemblent sont destinées à s’écrouler. Jésus n’a-t-il pas déclaré, à propos du célèbre Temple de Jérusalem, qu’il n’en restera pas pierre sur pierre, et cela ne s’est-il pas vérifié ? L’Afrique du Nord a été la première fille aînée de l’Église, à en juger d’après les nombreux Pères de l’Église qui ont pondu des textes dans son poulailler (...), mais il ne reste au mieux que des ruines là où il y avait des lieux de culte chrétiens. (...) Même les mosquées sont destinées à s’effondrer un jour... Est-ce une catastrophe ? Je ne le pense pas. Et si les lieux de culte de France sont obsolètes, qu’ils s’écroulent à leur tour (...) !
Si les protestants trouvent du réconfort à leurs cultes, cela me réjouit – idem pour les cathos à la messe. Et je vais même avouer à voix basse, pour finir, qu’on peut occasionnellement y glaner l’une ou l’autre réflexion profitable, et que la répétition des choses apprises permet parfois d’exprimer ce qu’on ne sait pas exprimer autrement... Mais pourquoi ne pas redéfinir les mots utilisés? Et pourquoi tant de bruit, tant de musique et de commentaires, alors que le silence est si rare et précieux aujourd’hui ?
À 86 ans, il me reste la joie de vivre, un regard affectueux sur nos concitoyens, un coup de main à quelques taulards rencontrés dans les dépotoirs de notre société (...). Mais, terrible info sur cette société, c’est dans des conteneurs en béton qu’elle enferme aujourd’hui ses déchets qui sont de plus en plus nombreux (...) !
Joyeusement, Jules |
Réponse (2 novembre)
Merci, cher ami, de votre message plein de verve.
Non, je ne suis pas en colère, rassurez-vous. Votre humour me réjouit, et je pense comme vous que le désir d'aimer et les initiatives qu'il inspire, au plan domestique comme au plan social, sont infiniment plus importants que le culte – la fin de mon "oraison" le dit clairement.
L'abnégation qui vous mène au temple aux côtés de votre femme vous honore..., ou plutôt, l’affection que vous lui témoignez ainsi est exemplaire. Mais avouez que c'est tout de même très emmerdant – pour elle et pour vous – de devoir régulièrement vous emmerder au culte, selon votre expression. Cela pourrait peut-être se passer autrement. Et d’ailleurs, vos remarques concernant ce que vous appelez le bruit de la musique et des commentaires montre que vous-même aspirez à plus de sobriété et de justesse dans les célébrations.
Vous avez raison de rappeler que Dieu n'est pas domicilié dans les sanctuaires, qu'il habite en chacun de nous, et que c'est surtout dans le service des autres – comme vos taulards – qu'on peut le rencontrer. Mais cela n'exclut pas le partage de l’espérance chrétienne avec d'autres croyants.
Que vous n'attendiez rien des offices, et apparemment pas grand-chose de la religion, relève d’un choix qui vous appartient absolument, mais cela n'oblige personne à adopter la même attitude minimaliste. Aussi admettrez-vous, j’en suis persuadé, que certains chrétiens soient désolés des célébrations et de la religion qu’ils sont obligés de subir, et qu’ils essayent de remédier dans la mesure du possible, moyennant un peu de réflexion et quelques initiatives, à la situation qui les accable.
Quand vous affirmez que Jésus n'a invoqué aucun dieu et omettez toute mention de son Dieu, vous me surprenez un peu. Car on trouve dans ses paroles maintes références au Dieu biblique qu'il appelait père, et à qui il s'est confié sans réserve tout au long de sa vie. De même votre allusion aux écrits des Pères de l'Église, que vous réduisez à du caquetage, me paraît-elle trop hâtive. Il est vrai que certains de ces textes ont été insignifiants et contradictoires, mais bien d’autres ont été d'une grande portée dans l'histoire de l'humanité et nous parlent encore. Le Dieu de Jésus était, comme celui qui a passionné la plupart des Pères de l'Église, très différent des dieux antiques dont vous parlez. Et d’une façon plus générale, j’ajouterai que si nous avons raison de nous méfier de tous les fanatismes comme l’ouvrier belge que vous citez, l’apport des autres peut être précieux, même pour apprendre quelque chose sur Dieu.
Que les temples et les églises soient tous condamnés à s'effondrer un jour est incontestable, et cela peut même être souhaitable quand ils deviennent inutiles. Mais êtes-vous certain que le christianisme n'a plus rien à apporter aujourd'hui, et que l'on doit y renoncer sans regrets ? Votre allusion aux « déchets » de la société contemporaine invite plutôt à résister à une évolution qui conduit à la ruine de l'humanité et de son environnement – la disparition de la foi chrétienne en Afrique du Nord n'a été que peu de chose en comparaison de la catastrophe qui menace. Alors, les athées que sont les chrétiens, du point de vue que vous évoquez avec juste raison, n'ont-ils pas vocation à se lever avec d'autres, athées et croyants, contre les idolâtries modernes ?
Je souhaite que votre tendresse pour les autres et votre joie de vivre vous portent encore de longues années. Et surtout, qu'il vous soit donné de les transmettre – ces vertus sont si rares aujourd'hui et leur transmission est si difficile.
Très cordialement à vous, J.-M. K.
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Échange de courriel (mars 2007)
Franchir le malheur et
Oraison pour survivre aux cérémonies religieuses... |
Cher Monsieur Kohler,
J'ai lu vos deux textes avec intérêt, surtout celui qui aborde le problème du mal. Malheureusement je ne peux en faire qu'un commentaire succinct.
Tout d'abord, je dirai que c’est bien écrit ; mais je vois là un risque : le style force la conviction.
Pour le fond, je crois qu'il est tout aussi impossible de terrasser les faux dieux que de répondre au problème du mal. Ce qui n'enlève rien d'une part à la légitimité morale du combat, et d'autre part à l'importance de se confronter au problème de l'origine du mal. Je ne crois pas que cela encombre la conscience humaine, au contraire, car s'il fallait rejeter de nos préoccupations toutes les questions insolubles, c'est toute la théologie et, au-delà, toute la religion qui deviendrait superflue.
Pour ce qui est des célébrations : je crois que le décorum, la symbolique, le cérémoniel ne sont pas à bannir, car c'est risquer de banaliser le fait religieux, c'est la perte de l'âme. Je suis vivement frappé de voir par exemple dans la Burnkirch que le choeur est déserté par le prêtre qui s'est déplacé dans la nef au milieu des fidèles placés en cercle. Cela peut être sympathique dans le cadre de veillées de prières ou de partages d'évangile, mais ne doit pas être une règle cérémonielle.
Dieu s'est fait proche de l'humain en s'incarnant, mais il ne s'est pas totalement confondu avec lui. Il fut un temps où les cérémonies républicaines copiaient les rites religieux. Aujourd'hui l'Eglise est fortement tentée de faire l'inverse, jusqu'à importer l'applaudissement au cours des offices par exemple. Ça fait socialement branché, mais ça débranche l'homme de la transcendance.
Qu'il y ait des choses à changer, sûrement, mais vous savez fort bien qu'on ne met pas de vin nouveau dans de vieilles outres.
Au plaisir, Fabien Maeder
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Cher Fabien,
Comme vous, je pense qu'il est impossible de terrasser les faux dieux : l'argent et les plaisirs devenus des tyrans ne se laissent pas anéantir. Par contre, je crois qu'il nous est possible, à chacun, de rejeter ces faux dieux en refusant la tyrannie qu'ils exercent sur nos personnes - tout en continuant évidemment à apprécier à leur juste valeur l'argent et les plaisirs.
Que le problème de l'origine du mal soit une préoccupation fondatrice de l'humanité me paraît également incontestable : sans cette interrogation, la conscience de l'homme s'avachirait. En estimant que ce problème ne doit pas encombrer la conscience humaine, je me réfère au sens étymologique du mot encombrer - gêner la liberté de mouvement en occupant trop de place. Ce problème ne doit pas nous obséder au point de nous distraire du combat à mener contre le malheur.
Pour ce qui est du bon usage des questions insolubles, il faut d’abord préciser de quoi on parle. Si la théologie devait se résumer à n'être que la science des questions insolubles, je crois qu'elle n'aurait pas grand intérêt, et je dirais la même chose de la philosophie. En réalité, bien des questions théologiques et philosophiques peuvent être élucidées, et j'ajouterai que notre intelligence a vocation à explorer même les mystères qui ne sont pas à la portée de notre raison. Là où nos vues divergent peut-être, c'est que je renonce à demander à la raison - mais non pas à l'intelligence - de rendre compte de ce qui lui échappe irrémédiablement.
L'importance pour l'homme du symbolique et des pratiques cérémonielles est évidente, et je ne peux être que d'accord avec vous à ce sujet : il n'y a pas de culture possible sans cela, et donc pas de société humaine. Plus que tout autre domaine, la religion doit y recourir pour la simple raison qu'elle parle d'un au-delà qui ne peut être approché autrement. Les réserves que j'ai exprimées au sujet des cérémonials qu'affectionnent les Églises portent sur autre chose : sur l'inévitable perte de signification des langages qui se sclérosent, et qui finissent par se fossiliser à mesure que la vie les quitte en créant d'autres langues pour transmettre la parole.
Que la République ait copié les cérémonies religieuses de l’Église, et ce après que celle-ci eut elle-même copié les rites politico-religieux hérités du paganisme et des empires, cela prouve l’importance des rites et la difficulté à en créer de nouveaux sous des formes inédites – vous avez raison de le souligner. C’est un domaine où, comme par ailleurs en matière de culture, il serait naïf et destructeur de faire table rase du passé. Mais le matériel symbolique n'est pas neutre pour autant, et les rites empruntés au passé restent marqués par leurs fonctions antérieures. Les conservateurs (en politique comme en religion) sont très attachés au contrôle social qui peut s’exercer par leur médiation, et ce n’est pas par hasard que des athées – Charles Maurras entre autres – se soient montrés parmi leurs plus farouches défenseurs.
Enfin, pour ma part, je ne situe la foi chrétienne ni dans des démarches liturgiques qui relèveraient directement de l’ordre divin (tout en étant manipulées par les Églises à leurs fins propres), ni dans des pratiques plus ou moins ésotériques. Dès lors que Dieu s'est fait homme comme l'affirme la théologie chrétienne classique, et pas seulement proche de l'humain comme vous le dites, la transcendance s'est incarnée dans l'ordinaire et tout devient sacré. L'âme de la religion, pour reprendre votre expression, ne réside plus dans un sacré séparé réclamant un traitement d'exception, mais dans le cœur de l'homme et dans le monde. La vie tout entière peut devenir une célébration, avec des temps forts soulignés par une symbolique sans cesse à renouveler - sans nécessiter de pompe.
Bien cordialement à vous, J.-M. K
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Échange se rapportant à : "Divine blessure, Jacqueline Kelen, Albin Michel, Paris, 2005".
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Cher Monsieur,
Je vous remercie de votre lettre ainsi que du compte rendu riche et précis que vous avez fait de mon livre « Divine blessure ».
D’évidence – et cela ne me gêne point -, vous abordez l’ouvrage d’un point de vue catholique, d’où votre méfiance à l’égard de « l’ésotérisme » (pour moi, cela équivaut à : « Le Royaume est à l’intérieur »), des « fous de Dieu » (qui, pourtant, témoignent de l’Amour infini), de l’Absolu Divin...
Je suis née dans cette religion, et avec le goût de me sentir aimée de Dieu (et du Christ). Mais je me suis éloignée de l’Église, de la pratique, sans pour autant les mépriser ni les rejeter : si peu de joie, si peu de silence, dans l’assemblée des "fidèles"... Et depuis je me questionne sur le rôle accordé à la Femme au sein de l’Église catholique, je me questionne non d’un point de vue féministe mais au nom de l’Éternel Féminin, de la Sagesse (que certaines femmes, telle la Béatrice de Dante, peuvent manifester). Je me demande où sont passées les prophétesses, écoutées et consultées par les papes (telles Hildegarde, Brigitte de Suède, Catherine de Sienne), où respirent les femmes mystiques (pas seulement dans les cloîtres)...
Je n’ai rien à ajouter ni à rectifier dans votre texte, puisqu’il est de votre appréciation. Simplement, il me semblait avoir bien insisté sur le thème de la compassion pour toutes les créatures à quoi mène la blessure au cœur, et sur l’humilité, l’effacement qui, pour moi, sont la finalité de la quête spirituelle. Mais surtout, j’espère que ce livre parle non de souffrance mais d’amour...
Bien à vous,
Jacqueline Kelen
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Chère Madame,
Merci beaucoup de votre sympathique lettre qui me rappelle l'importance que vous accordez à la compassion (votre livre contient de si belles pages à ce sujet !) ainsi qu'à l'humilité et à l'effacement.
Ma note de lecture tout juste expédiée, je m'étais aperçu que je n'avais pas accordé au premier de ces thèmes la place qui lui était due, et avais ajouté ceci : "La tendresse (…) éveille une compassion sans limites pour toutes les créatures, même les plus insignifiantes en apparence, dit l'auteur". Quant au thème de l'humilité et de l'effacement, je ne manquerai pas de l'introduire dans mon papier si je me décide à trouver (est-ce bien utile ?) un journal ou une revue pour le publier.
En me gratifiant d'avoir abordé votre ouvrage "d'un point de vue catholique", vous avez fait rire à mes dépens ma femme qui est protestante… Sans doute n'avez-vous pas entièrement tort, puisque je reste autant que possible solidaire des chrétiens dont je tiens l'essentiel de ce que je crois. Mais, comme vous et pour de semblables raisons, je me suis éloigné des doctrines et des pratiques de l'Église qui, surajoutées et accessoires, ont fini par supplanter l'évangile. Quelle misère aujourd'hui en ces demeures qui ont vu naître et ont abrité tant de vie et de richesses à travers les siècles !
Je vous rejoins à propos de l'ésotérisme et des fous de Dieu tels que vous les définissez, en amont de l'acception désormais commune de ces termes. Cependant, en reprenant le sens étymologique du premier, je dirai que la vie intérieure se nourrit plus, à mon sens, de nos engagements parmi nos semblables que de quelque gnose que ce soit - conviction relevant de mon vécu plutôt que de mon supposé catholicisme… L'histoire me paraît cruciale ; vous-même regrettez à juste titre la disparition des grandes prophétesses.
Cordialement à vous,
Jean-Marie Kohler
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Archives CCC |
Extraits d’un échange de courriel entre « Sceptiquot » et CCC (août 2002) |
Bonjour,
Vieille et traditionnelle question qu’un croyant honnête ne peut éviter de se poser : pourquoi Dieu a-t-il voulu l'Homme ? Peut-on fuir cette interrogation sur la motivation divine ? Quelle hypothèse sensée peut-on envisager pour répondre ?
Cordialement,
Sceptiquot |
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Cher ami « Sceptiquot »,
Je sais que vous n'attendez pas de réponse à votre message, puisque vous seul pouvez répondre à votre question.
Permettez-moi cependant de vous suggérer ceci : interroger Dieu sur l'homme présuppose, paradoxalement, de croire en l'homme avant même de croire en Dieu... Les deux attitudes sont intimement liées : nous ne pouvons connaître Dieu qu'à travers nos relations aux hommes. C'est un sujet qui a été plusieurs fois évoqué dans les conférences que nous organisons (notamment par Gabriel Ringlet et Joseph Moingt).
Avec mes cordiales salutations.
Jacqueline Kohler, coordinatrice de CCC |
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Bonsoir,
Merci de votre réponse, mais c'est une façon élégante de vous dérober à la question.
« Reconnaître Dieu en chaque personne, le faire advenir dans notre monde à travers un amour qui s'investit au service des hommes, et participer ainsi à son œuvre continue de création et de salut », dites-vous.
Mais oui, je crois en l'homme. Ce qui m'attriste, c'est de le voir se boucher les yeux en se réfugiant dans des croyances rétrogrades et dégradantes...
En réalité, personne n'a d'explication sensée au problème du pourquoi de la création du monde et de l’homme par un Dieu. La seule explication que j'ai trouvée dans mes pérégrinations sur le Web, c’est l'Amour – c'est aussi la vôtre. Élégante façon de repousser le problème...
Qu'il est donc bon ce Dieu qui crée la gazelle pour le lion, et donne le cancer aux enfants, comme écrit Comte-Sponville dans son dernier livre (Présentation de la philosophie) ! Ne parlons pas de toutes les catastrophes naturelles, des famines saisonnières, des inondations, des tremblements de terre etc., de tous les malheurs du monde dont l'homme n'est en aucune façon coupable.
Comment vénérer ce créateur qui serait l'artisan de nos peines et l’unique responsable de nos douleurs ? Non, vous ne trouverez jamais d'explication valable pour en imputer la responsabilité à l'homme.
Et quelle justification apporter à la souffrance de nos frères les animaux ? Y avez-vous songé ? Peut-on leur refuser le droit aux sentiments ? Avez-vous vu cette séquence documentaire d'une maman singe gardant pendant des jours dans ses bras le cadavre d'un de ses petits ?
À propos d'animaux, nul ne peut, sans mauvaise foi, refuser d'admettre que nous sommes de la famille, les découvertes portant sur des millions d'années le prouvent indiscutablement. Alors, l’homme n’ayant progressé que graduellement, à quelle époque et à quel degré d'intelligence faut-il remonter pour le péché originel – responsable, paraît-il, de nos malheurs ? Avant même d'exister intellectuellement, l'homme était déjà coupable. Bouffonnerie !
Vous vous grisez d'une soi-disant magnificence divine... Hallucinés étaient les martyrs qui mouraient dans la joie au milieu de l'arène ! Consentants et délirants aussi, les soixante-quatorze victimes de la secte du Temple solaire décédées récemment en pleine euphorie ! Leur gourou, Di Mambro, s'est sacrifié pour eux, lui aussi, mais il n'est pas ressuscité, lui ; et d’ailleurs, s’il était réapparu, l’événement aurait annulé la valeur de son sacrifice et nous l’aurions assimilé à une farce...
Je serais désolé si vous preniez tout cela pour de la méchanceté. Si vous êtes heureux, « bienheureux » dans vos convictions, tant mieux pour vous. Je sais bien, « si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer » comme disait un autre grand sceptique. Mais nous pouvons être rassurés : l'homme croira jusqu'à la fin des temps, incapable de s'inventer des règles de vie, un humanisme intelligent. Amen...
« Il nous faut apprendre à vivre sans les dieux ; et tant qu'à vivre, efforçons nous de bien vivre, dans la paix, la joie et l'amour ».
Cordialement,
Sceptiquot |
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Cher ami anonyme,
Permettez-moi d'omettre le sobriquet de "Sceptiquot" que vous revendiquez. La dérision est une bonne auto-médication, mais il n'est pas bon d'en abuser en s'y enfermant.
Merci du développement que vous avez inséré dans votre dernier message. Bien que vous l'ayez emprunté à un autre contexte, il soulève des questions effectivement terribles concernant le mal et la mort. Aussi vieilles que l'humanité, elles sont toujours actuelles et aucune pérégrination sur le Web ne les résoudra.
Ces questions ne peuvent être éludées par personne, mais nul ne peut leur apporter de réponse. Il n'existe aucun savoir assuré à ce sujet, et les Églises ont fait beaucoup de tort à la foi en s’obstinant à vouloir expliquer l'inexplicable. L'unique réponse, pour les croyants, renvoie au paradoxe de la croix qui ne fournit ni explication ni justification. L'inverse de l'élégance et de la dérobade...
Vous avez bien raison d'être attristé par le caractère rétrograde et dégradant de bien des croyances religieuses. Et je vous rejoins sans réserve quand vous dénoncez les aliénations meurtrières dont les religions, y compris le christianisme, n'ont pas cessé de se rendre coupables. Mais outre que certains points de votre réquisitoire mériteraient un complément d'information, vous semblez vous arrêter à mi-chemin. Pour entrevoir la lumière, il faut parfois traverser bien des nuits.
Pourquoi tant de ressentiment ? Je ne vous soupçonne évidemment d'aucune méchanceté, mais je regrette un peu que vous me rangiez sans autre précaution parmi les « bienheureux » qui s'inventent un Dieu à leur mesure pour s'épargner les difficultés d'un « humanisme intelligent ». Et je vous assure que les conférences Culture et Christianisme visent autre chose que les bondieuseries et les mondanités.
Oui, cher ami, un point nous rassemble quoi que vous disiez par ailleurs, et c'est vraiment l'unique point qui importe. C'est ce que vous nommez l'Amour — un mot malheureusement si usé qu'il ne signifie plus grand-chose, comme le mot Dieu, fût-il introduit par une majuscule. C'est parce que cette foi ou cette espérance en l'amour subsiste, en dépit de tout, que nous pouvons nous sentir libérés de tous les dieux et de tous les démons, pour « bien vivre, dans la paix, la joie et l'amour » selon votre citation. Ne croyez-vous pas que cela seul mérite un amen ?
Je vous souhaite un bon dimanche et vous adresse mes cordiales salutations.
Jacqueline Kohler
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