Traditions et perspectives théologiques
   
 
 
 


 
Points de vue

Révolution évangélique

Réseaux des Parvis, rencontre de Lyon des 11 et 12 novembre 2010

Introduction à l’atelier ayant pour thème

Révolution évangélique

Document de référence :
"Le christianisme face à une suprématie inédite de l'argent.
Marchandisation du monde et subversion chrétienne" (sur ce site)

1. Une subversion radicale

L’évangile de Jésus de Nazareth a constitué une des plus radicales initiatives de subversion politique et religieuse de l’histoire. Mais n’était-ce pas folie de s’en prendre aux dominants et d’exalter les humbles dans le sillage des prophètes d’Israël, et n’est-ce pas triple folie d'adhérer à de telles vues aujourd’hui ?

Le service et l’humilité l’emportent sur la puissance et la gloire, a dit Jésus ; tous les hommes sont égaux en dignité devant Dieu et entre eux ; les ouvriers de la onzième heure seront payés comme ceux de la première ; les publicains et les prostituées devanceront les bien-pensants et les bien-priants dans le Royaume des cieux ; les plus petits seront les plus grands dans ce Royaume dont la porte d’entrée est étroite pour les riches, où la pierre rejetée sera utilisée comme pierre d’angle, etc. Le monde à l’envers ! Des principes extravagants : les Béatitudes, l’interdiction de juger autrui et le précepte d’aimer les ennemis, la subordination du shabbat et de la religion à la vie humaine, sans parler de l'absence de toute allusion aux pratiques religieuses dans l’énoncé des critères du Jugement dernier !

2. Alliance d’intérêts et divorce

Le bon sens a vite repris le dessus et le christianisme, constitué en système politico-religieux, n’a pas été subversif longtemps. Pour se développer, il s’est soumis à la logique commune : il s’est allié aux puissants, a inculqué aux petits la peur de Dieu et du diable, et n’a pas craint de monnayer l’accès au salut éternel dont il s’est attribué le monopole. Le monde et l’Église ont de concert édulcoré l’évangile, l’ont transformé en religion au service de l’ordre établi, aux antipodes de ses valeurs fondatrices. Des constructions idéologiques et des pratiques rituelles ont été interposées d’autorité, sous forme de théologie et de liturgie, entre le croyant et la communion immédiate qu’offrent l’amour et le culte « en esprit et en vérité ».

Inspirée par des stratégies de pouvoir convergentes, cette option été socialement profitable à l’Église pendant près de deux millénaires. Mais elle semble désormais sans avenir en raison de la sécularisation qui marginalise les institutions religieuses. Plus que jamais coupées des masses pauvres et engluées dans une culture révolue, les Églises se trouvent doublement en porte-à-faux : par rapport à leur mission originelle d’une part, et par rapport à l’environnement contemporain d’autre part. En se cantonnant de plus en plus dans les cérémonies et la représentation, elles se condamnent à végéter, guettées par divers sectarismes.

3. Le monde dos au mur

Pour s’interroger sur le devenir des Églises délaissées par les instances dominantes, il ne suffit pas de se préoccuper de la situation des institutions ecclésiales. Il faut prioritairement examiner l’évolution du monde auquel est destiné le message évangélique.

Portée par la globalisation, une suprématie inédite de l’argent entraîne la marchandisation de l’homme et du monde. Une mutation qui risque d’être mortelle pour l’humanité. La maximisation des profits commandée par l’ultralibéralisme économique détruit les relations entre les hommes et dévaste la nature. En marge de la croissance exponentielle de la richesse des nantis, la détresse des laissés-pour-compte ne cesse de s’aggraver. Leur dignité est foulée aux pieds ainsi que les espoirs qu’ils nourrissent pour leurs enfants, et beaucoup d’entre eux sont livrés à la faim, aux épidémies et aux guerres, acculés à la révolte.

Mais la fatalité n’est qu’un mythe, et David peut vaincre Goliath. Qui se lèvera pour lutter, sur le terrain et pas en mots seulement, contre l’iniquité et la violence inhérentes à cette évolution qui ruine les valeurs constitutives de l’humanité ? Comment, face à l’irresponsable fuite en avant du progrès technique, rendre à l’homme la maîtrise de son destin ? De quel secours seront, dans cette situation dramatique, l’évangile et la religion qui s’en réclame ?

4. Le parti pris de Dieu

Que Jésus et le christianisme naissant ne se soient pas intéressés au devenir des structures sociales s'explique par le fait qu'ils étaient persuadés de l’imminence de la fin des temps. Mais l’apocalypse attendue ne s’étant pas produite, les chrétiens ont peu à peu réalisé qu’ils avaient vocation à incarner les valeurs évangéliques dans la société en épousant la cause des pauvres et des exclus, en soignant leurs blessures et en cheminant avec eux.

Cette vocation n'appelle pas à transformer, aujourd’hui, les institutions ecclésiales en succursales de l’humanitaire ou du politique. Ce qui est attendu des Églises, c’est qu’elles empruntent autant que possible le regard de Dieu sur l’homme, par delà les stratégies ecclésiastiques habituelles, et qu’elles agissent en conséquence. Ce qui est attendu, c’est un engagement prophétique témoignant concrètement, au nom de la foi, que l’amour est plus fort que la violence et la mort.

Le modèle de référence est sans ambiguïté. Le Dieu crucifié en Jésus s’est à jamais identifié aux victimes de l’iniquité, rejetant le narcissisme, la toute-puissance et la vaine gloire dont les hommes affublent leurs dieux. « Scandale pour les Juifs et folie pour les païens ». Il s’est abaissé pour relever les affligés et les persécutés, pour leur rendre justice et les recueillir dans son amour. Là est la seule gloire qui lui est chère, sans rapport avec les cultes qui lui sont rendus. Dès lors, ne faut-il pas aider les hommes et ce Dieu à se libérer de la rapacité qui méprise et écrase, avant de vouloir répandre la religion en offrant urbi et orbi des directives doctrinales et des prestations rituelles ?

5. Rendre l’évangile au monde

L’évangile transmis par l’Église a survécu pendant deux millénaires et survivra encore grâce aux croyants qui le portent dans leur cœur et le mettent en pratique, mais le christianisme ne pourra pas se perpétuer dans ses formes héritées. Saura-t-il renoncer au ritualisme, au dogmatisme et à ses institutions obsolètes pour renaître en partageant à ras de terre la souffrance des hommes et leur intime aspiration à vivre humainement ?

Une véritable révolution s’avère nécessaire pour passer des discours sur l’amour à une parole d’amour engagée, agissante, capable de transfigurer les êtres et les choses. Amorcée par le multiple mouvement qui émerge çà et là au sein des communautés chrétiennes et sur les parvis, dans d’autres confessions et parmi les déçus de la religion, cette révolution ne pourra pas se réduire à un aggiornamento, encore moins à une simple révision du code des bonnes conduites. Elle devra, aux risques que cela implique, se fier à l’Esprit qui recrée le monde en soufflant où il veut.

Débordant les Églises, cette révolution aura à dégager l’évangile de son lourd et étouffant emballage religieux pour le redistribuer aux quatre vents. Il lui faudra mobiliser tous les hommes de bonne volonté, sans acception de confession et sans idée de récupération, pour imaginer et mettre en chantier un altermondialisme nouveau. Si la foi chrétienne faisait aujourd’hui de la justice sa pierre de touche, peut-être serait-elle de nouveau capable de bouleverser la planète comme la proclamation paulinienne de l’égalité entre les hommes a transformé le monde antique.

6. Transcender le politique

Que sera cette « révolution évangélique » qui se cherche ? Elle revêtira une dimension politique et recoupera en partie les autres formes de l’action révolutionnaire qui visent à instaurer une société plus juste et plus fraternelle : adhésion à un idéal humain et social, volonté de rompre les entraves qui assujettissent, solidarité, courage et abnégation. Mais les moyens ordinaires du monde ne suffisent pas pour changer le monde.

L’idéal évangélique de justice et d’amour transcende l’ordre politique et comporte des exigences d’une autre nature. La conversion personnelle aux valeurs de l’évangile constituera en principe un préalable au recours à la force dans le cadre des luttes collectives, l’adversaire ne sera jamais un ennemi à abattre, la bienveillance tempérera l’indispensable fermeté, la pauvreté sera considérée comme une vertu majeure, et le choix des moyens d’action se fera à l’avenant.

Au reste, l’évangile ne promet pas de « grand soir » comme d’autres révolutions, pas de Royaume céleste transposé sur terre, mais il promet la présence de Dieu parmi les humbles et, pour finir, la victoire sur le cynisme et l’inhumanité qui gouvernent le monde. Plutôt que d’une révolution socio-économique visant d'abord l'accès aux richesses et au pouvoir, il s’agit d’une révolution spirituelle pour faire reconnaître la prééminence de l’homme créé à l’image de Dieu et habité par lui. Une révolution toujours à reprendre, certes, mais qui subvertit sans cesse l’ordre dominant pour permettre à l'homme de devenir plus humain.

Conclusion : « Tout est à repenser » (Paul VI et Edgar Morin)

Ne s’avère-t-il pas urgent, au regard de ces constats et de ces questions, de repenser la théologie de la libération et sa mise en œuvre, d’en définir les priorités actuelles, d’en explorer les chemins aux plans personnel, social et religieux ?

Jean-Marie Kohler

 

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